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Page:Faydit de Terssac - À travers l’Inde en automobile.djvu/68

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En Bengale

étoffes de coton grossier rouge et jaune, qui leur enveloppent les épaule et les jambes, laissent à nu les pieds gercés par la poussière crayeuse des chemins, les bras noirs alourdis par le travail quotidien. Quelques-unes plus fines, mieux vêtues, suivantes, confidentes, rivales parfois, se tiennent debout contre les piliers de la vérandah, encourageant les princesses à m’offrir du bétel, des épices et des cigarettes. Un frémissement d’appréhension contracte les jeunes visages ambrés, les mousselines dorées se joignent plus hermétiquement sur les gorges éblouissantes de joyaux ; aucune n’ose venir à moi. Elles se poussent du coude comme des pensionnaires timides ; les vieilles, les yeux baissés font glisser entre leurs doigts pointus les grains de bois enfilés de leur chapelet ; l’une des femmes du Nazir Saheb, tournée vers la muraille, essuie de grosses larmes de terreur et dans mon ignorance totale de la langue, impuissante à les rassurer, je reste pour elles un objet de curiosité intense et un sujet d’effroi non moins vif.

Enfin, l’une d’elles, si petite qu’une tige de jasmin semble ne pas devoir courber sous son poids, fixe sur moi ses grands yeux pleins de douceur chaste ; telle une madone, égarée dans un temple païen, elle s’avance, me tendant le plateau qu’une suivante lui passe en détournant la tête, tandis, que sa main mate comme un vieil or tremble d’émotion contenue.

Salam…, mes doigts touchent le front ; machinalement, la Salutation Musulmane me vient aux lèvres. Et ce geste puéril, semblable à une baguette de magicien, dissipe la contrainte, la peur ; je ne suis plus aussi étrangère, aussi séparée des jolies princesses par un fleuve de civilisations opposées : ce léger mouvement devient la passerelle fragile qui va me permettre d’aller à elles pour questionner leur intelligence et savoir un peu de leurs joies, de leurs douleurs, dont le masque paraît si différent des nôtres. Toutes m’entourent comme un nuage de papillons éblouissants ; leur timidité a disparu, elles m’accablent de questions, sonores, comme le rire perlé qui découvre leurs dents luisantes et régulières. Elles enlèvent leurs voiles, laissant tomber dans le dos leur tresse de jais entremêlée de fil d’or, leurs yeux allongés de « kadjulla » paraissent plus doux, plus câlins, sous les pointes de cheveux ornés de paillettes qui leur plaquent au front comme un bandeau irrégulièrement étoilé.

Tout d’abord, je suis tellement émerveillée, éblouie par les torsades de perles, les guirlandes de diamants, de rubis, les fleurs d’émeraude, les bracelets, les cercles d’or massifs qui enserrent les minces chevilles, les bagues qui étincellent jusqu’aux orteils, que