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À Travers l’Inde en Automobile

parfums complètent l’ameublement. C’est là qu’on m’amène et une fois les clefs abandonnées par la princesse à ses femmes, les mosaïques disparaissent en un rien sous les merveilles qu’elle tire de cette étrange garde-robe et jette indifféremment sur le sol. Chacune a une couleur favorite, un tissu préféré, et toutes voudraient m’habiller d’après leur goût personnel. Je subis un véritable assaut ; l’une me déchausse, l’autre me décoiffe ; sans pitié, arrachant les épingles, les peignes ; une troisième, ignorant les agrafes, les boutons, déchire mes vêtements ; une toute jeune, très délurée, voudrait me couper les ongles tout à fait ras et me percer les narines avec une aiguille d’or pour me mettre un anneau au nez. Je demande grâce par de petits soupirs et je répète incessamment « asté, asté » (doucement). Pendant une heure, je suis livrée à six paires de mains brun doré, qui ne m’abandonnent qu’après m’avoir fait une tête de tresses minuscules, luisants d’huile de coco parfumée, saupoudrée de poussière d’argent et de paillettes ; armées d’un long crayon d’or, elles me noircissent les paupières, le bord des cils, elles forcent entre mes dents du bétel et une poudre scintillante, qui préserve des sorts mauvais. Mes ongles et la paume des mains sont emprisonnés dans des cataplasmes de henné qu’une vieille femme, la nourrice de la princesse, remplace de temps à autre par des feuilles fraîches qu’elle hache comme un pâté d’épinards. Si je remue, si je tourne la tête, elles me donnent de petites tapes familières et me disent des mots amicaux comme à un animal apprivoisé. L’on me presse de choisir un voile, « un sarri », une paire de pantoufles brodées. Dans le fouillis harmonieux des soies, je me décide pour une draperie arc en ciel, une mousseline vert pâle, semée de lotus et de croissants de lune en paillettes de nacre. La princesse bat des mains pendant que les femmes me parent, me décorent, comme une de ces idoles qu’on entrevoit parfois perdues dans la pénombre des grands temples blancs.

Tout à coup, retentit un sifflement aigu, prolongé, une femme affolée accourt le long de la véranda, essouflée, elle se laisse choir à nos pieds répétant « nabab saheb, nabab saheb ». Sa respiration haletante coupe la voix de hoquets, c’est alors une bousculade inimaginable, chacune se rue sur les coffres destinés aux vêtements, elles se heurtent, trépignent, se frappent. En un instant, toutes enveloppées de linceuls blancs sont accroupies sur deux rangs, immobiles, inertes, prêtant l’oreille aux pas cadencés qui s’approchent. Sur un signe de la Princesse, on m’isole dans un coin, et une barricade de tabourets et de coussins s’élève, me dérobant aux yeux du vieux Nabab, son beau-père, qui ne pardonnerait pas à sa belle-fille d’avoir, par courtoisie, soulevé un coin de