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À Travers l’Inde en Automobile

peuvent banqueter cinq cents personnes, il me fait dévaler de monumentaux escaliers, traverser des antichambres désertes, des pièces vides, peintes à fresque ; derrière une porte, que nous dépassons, se démène le chauffeur, également prisonnier, et le rire fuse de plus en plus ironique, léger et insaisissable. Cette gaieté continue, douloureuse comme celle d’un maniaque, résonne étrangement dans la vaste habitation dépeuplée par je ne sais quel caprice « d’apsaras » (fées). D’une fenêtre ouverte, j’aperçois, en courant, le perron du palais que gardent généralement des sentinelles ; elles aussi ont été supprimées, sans doute, par la volonté de ce fantôme blanc que je désespère d’atteindre. Une grande lassitude m’accable et l’indicible crainte de me trouver avec une créature démente remplace insensiblement la curiosité qui m’avait jusqu’alors soutenue dans la poursuite de l’être mystérieux. Je tombe sur une pile de coussins entassés dans le coin d’un vestibule, pour reprendre haleine… Le rire s’est tu et mon regard interroge inutilement le fond du couloir, cherchant la porte par laquelle le farfadet a réussi à s’évader. La boiserie est lisse, unie, ininterrompue. Il n’y a aucun passage là.

Cette partie du palais m’est absolument inconnue. Je reviens sur mes pas, cherchant à regagner la bibliothèque qu’il me semble avoir entrevue, mais bientôt j’y renonce, toutes ces pièces démeublées, dallées uniformément de pierres blanches et noires, se ressemblent, et ne renferment aucun indice conducteur. J’inspecte de nouveau le lambris à l’extrémité de la galerie, je promène mes doigts sur toutes les saillies du bois, ils ne rencontrent pas le moindre loquet, pas le plus petit trou de serrure. Impatientée, je frappe du pied de toutes mes forces contre les panneaux, l’obstacle cède, révélant un spectacle ravissant.

Dans une immense rotonde de marbre blanc, une centaine de femmes, assises par terre, entourent un lit de repos sur lequel est étendue une princesse d’une beauté frappante. Ses traits me sont familiers, sa bouche voluptueusement cruelle, la lassitude de son regard me rappelle une autre physionomie que je n’arrive pas à nommer au premier abord.

Elle semble ignorer ma présence, et son attitude me déconcerte légèrement. Suis-je une invitée ou une intruse ? Les autres femmes, muettes, les yeux baissés, gardent une immobilité de statue : silencieusement, quelques-unes s’écartent du passage, lorsque, me remémorant le cérémonial de ma visite au harem, je m’approche de la belle princesse pour lui faire les « salams » d’usage.

Un masque d’indifférence moule tous les visages. Subite-