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En Bengale

en palanquin jusqu’au guest house. Un de ses eunuques, chargé d’éloigner tous les indiscrets masculins, les importuns, s’en est acquitté consciencieusement. Je m’explique le palais désert, les sentinelles écartées, les chambres fermées à clef.

Par une attention courtoise, la bégum avait décidé que la femme de Muna Saheb irait me chercher et me présenterait à elle.

Le sérieux enfantin du gracieux guide n’avait point résisté à ma mine déconfite devant la porte de mon frère, un fou rire avait saisi la princesse et elle s’était sauvée comptant m’envoyer une de ses suivantes pour m’accompagner à la salle de « Durbar ». Je reconnais, en effet, la pièce attenante à nos appartements, ornée de statues de marbre, reproduction de la Vénus de Milo, et de plusieurs chefs-d’œuvre européens placés dans des niches entre des appliques d’argent et le « machan » de la bégum qui n’est autre que le siège en ivoire sculpté, trône des anciens Nizam qu’en flânant dans cette salle où l’on ne couronne plus, que des souvenirs, j’ai souvent admiré.

La bégum s’absorbe dans les délices de son hooka et ne m’adresse plus la parole, tandis qu’une suivante se met à chanter une mélopée plaintive à laquelle toutes les autres répondent en frappant des mains pour marquer la cadence.

La petite Muna me prend alors à part et tâche de me distraire en m’indiquant ses belles-sœurs, les femmes de Wasif Saheb. La première, épousée par ordre de ses parents, est commune, lourde, la seconde, qu’une intrigue quelconque lui a permis d’apercevoir avant le mariage, est remarquablement jolie, effrontée, et disparaît presque sous les amples godets d’une soierie mauve et rose.

Vers la fin de la soirée, l’on apporte les lumières : des torches que les dames d’atour tiennent à la main. C’est le signal du départ. Toutes les princesses ploient le genou devant la bégum, prenant un coin de leurs robes, elles le font toucher à terre et le relèvent à la hauteur du front qu’elles courbent ensuite sur leurs mains jointes. La femme du Nabab répond par un simple salut, elle se lève, monte dans un palanquin amené par ses suivantes, et s’en va majestueuse, arrogante, royalement drapée dans un brocart d’or fauve.