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AVERTISSEMENT. vii


Des gens qui voient bien, ont jugé différemment. C’est cette froideur même, réelle ou apparente, c’est cette modération factice, cette impartialité affichée et continuellement démentie, qui fera plus de tort aux vrais principes, aux intérêts de la religion et des mœurs, que la déclamation la plus outrée. D’ailleurs, dans ce tems de frivolité et d’indolence, on se tient volontiers aux arrêts des Dictionnaires ; déjà celui-ci est adopté comme un livre classique ; ses ridicules même sont des oracles pour les savans du jour. Que sera-ce de la jeunesse, qui n’a aucune ressource à opposer à la séduction ? Non, on ne peut douter que cet ouvrage, quoiqu’utile et estimable à certains égards, bigarré par un mélange de très-bonnes et de très-mauvaises choses, ne soit un de ceux qui aura contribué le plus à la fatale révolution qui se fait dans les idées humaines.

Il m’a donc paru que c’était rendre un service essentiel à la religion, aux lettres, à la vérité de l’histoire, que de donner un Dictionnaire assorti à l’usage et au goût des personnes qui, par leur attachement aux bons principes, sont fâchées de trouver dans un livre d’un si grand usage une multitude de jugemens calomnieux, inconséquens, contradictoires. Le chef de la société de gens-de-lettres a lui-même senti la nécessité de ce projet. Il a compris que tout ouvrage rédigé par une société, à moins de supposer des circonstances singulièrement rares et bien difficiles à réunir, ne pouvait être qu’un assemblage monstrueux (*[1]) ; que des gens-de-lettres imbus de principes différens, attachés à des systèmes opposés en fait d’histoire, en fait de physique, en fait de morale, en fait de politique, en fait de théologie, etc., ne pouvaient nous donner un ouvrage

  1. (*) C’est à tort que M. Diderot a fait de l’Encyclopédie l’humiliante critique qu’on lit dans les Mémoires de M. Luneau de Boisgermain (voyez le Journ. hist. et litt. 1er. Oct. 1779, p. 180). Dès le moment que c’était l’ouvrage d’une société, cette énorme compilation ne pouvait manquer d’avoir tous les défauts que M. Diderot lui reproche. Que seroit-ce d’un bâtiment que cent architectes auraient combiné et dirigé sur des goûts et des modèles différens ? A cela ajoutez l’espèce d’incognito que gardent la plupart de ces gens-de-lettres, qui les dérobe en quelque sorte au jugement du public, et les laisse jouir en paix des petits artifices, par lesquels ils l’ont dupé. Mais supposé qu’ils fussent tous bien connus, les choses n’en iraient pas mieux. Aucun ne se croit responsable des défauts d’un ouvrage qui les regarde tous. Les plus jaloux de leur réputation s’excusent sur les autres : la plupart ne se mettent pas même en peine de se justifier ; la partie de la besogne qui leur est échue, étant confondue dans la masse de l’ouvrage, ils croient avoir autant de droit de se glorifier des bonnes choses que leurs collègues y ont insérées, que de ne pas rougir des sottises qui leur appartiennent en propre.