Page:Femmes-poëtes de la France, éd. Blanvalet, 1856.djvu/15

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— IX —

abattit, on rebâtit, pour abattre et rebâtir encore. Ce fut un tohu-bohu social dont le chaos eût à bon droit pu se montrer jaloux. Les ténèbres étaient épaisses, on y entendait passer des voix plaintives ou menaçantes qu’accompagnait le roulement sourd d’une lourde charrette. Enfin le son de la diane réveilla le matin, mais quand le vieux paysan entr’ouvrit sa fenêtre pour voir si les blés germaient dans ses champs, il y vit germer des armées.

Pareille à l’oiseau chanteur qui se cache et se tait aussi longtemps que dure l’orage, la Poésie française se cacha et se tut jusqu’au retour du calme, et ce fut sans doute pendant ses jours de retraite que, s’étant prise à méditer sur elle-même, elle reconnut tout ce qu’il y a de profond et de vrai dans ce vieux dire de Montaigne : Ce n’est pas raison que l’art gaigne le poinct d’honneur sur notre grande et puissante mère nature. Aussi quand elle reparut, quel changement s’était opéré en elle !

La matrone romaine s’était faite Manola : c’était la fille des Espagnes, mi-castillane, mi-moresque. Elle avait échangé sa lyre contre les agiles castagnettes et le joyeux tambourin ; elle dansait et sa danse était le Jaléo, avec toute sa grâce, toute son énergie, toute sa souplesse, toute sa désinvolture, toutes ses séductions, mais aussi toute l’immodestie d’une passion sans frein.

Ayant divorcé d’avec toute science, sinon la légende et la tradition, elle affectait des airs de moyen-âge, les exagérait à outrance et portait en tout temps cachés dans son sein le stylet ouvré et la benoîte relique.