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TÉLÉMAQUE.

flèches n’aurait pu le percer. Pour les nymphes, elles sentirent bientôt les feux que cet enfant trompeur allume ; mais elles cachaient avec soin la plaie profonde qui s’envenimait dans leurs cœurs.

Cependant Télémaque, voyant cet enfant qui se jouait avec les nymphes, fut surpris de sa douceur et de sa beauté. Il l’embrasse, il le prend tantôt sur ses genoux, tantôt entre ses bras ; il sent en lui-même une inquiétude dont il ne peut trouver la cause. Plus il cherche à se jouer innocemment, plus il se trouble et s’amollit. Voyez-vous ces nymphes ? disait-il à Mentor : combien sont-elles différentes de ces femmes de l’île de Chypre, dont la beauté était choquante à cause de leur immodestie ! Ces beautés immortelles montrent une innocence, une modestie, une simplicité qui charment. Parlant ainsi, il rougissait sans savoir pourquoi. Il ne pouvait s’empêcher de parler ; mais à peine avait-il commencé, qu’il ne pouvait continuer ; ses paroles étaient entrecoupées, obscures, et quelquefois elles n’avaient aucun sens.

Mentor, lui dit : Ô Télémaque, les dangers de l’île de Chypre n’étaient rien, si on les compare à ceux dont vous ne vous défiez pas maintenant. Le vice grossier fait horreur ; l’impudence brutale donne de l’indignation ; mais la beauté modeste est bien plus dangereuse : en l’aimant, on croit n’aimer que la vertu ; et insensiblement on se laisse aller aux appâts trompeurs d’une passion qu’on n’aperçoit que quand il n’est presque plus temps de l’éteindre. Fuyez, ô mon cher Télémaque, fuyez ces nymphes, qui ne sont si discrètes que pour vous mieux tromper ; fuyez les dangers de votre jeunesse : mais surtout fuyez cet enfant que vous ne connaissez pas. C’est l’Amour, que Vénus, sa mère, est venue apporter dans cette île, pour se