Aller au contenu

Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/135

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
118
télémaque.

tez de mon île, dit-elle, ô étrangers, qui êtes venus troubler mon repos : loin de moi ce jeune insensé ! Et vous, imprudent vieillard, vous sentirez ce que peut le courroux d’une déesse, si vous ne l’arrachez d’ici tout à l’heure. Je ne veux plus le voir ; je ne veux plus souffrir qu’aucune de mes nymphes lui parle, ni le regarde. J’en jure par les ondes du Styx serment qui fait trembler les dieux mêmes. Mais apprends, Télémaque, que tes maux ne sont pas finis : ingrat, tu ne sortiras de mon île que pour être en proie à de nouveaux malheurs. Je serai vengée ; tu regretteras Calypso, mais en vain. Neptune, encore irrité contre ton père, qui l’a offensé en Sicile, et sollicité par Vénus, que tu as méprisée dans l’île de Chypre, te prépare d’autres tempêtes. Tu verras ton père, qui n’est pas mort : mais tu le verras sans le connaître. Tu ne te réuniras avec lui en Ithaque, qu’après avoir été le jouet de la plus cruelle fortune. Va : je conjure les puissances célestes de me venger. Puisses-tu, au milieu des mers, suspendu aux pointes d’un rocher, et frappé de la foudre, invoquer en vain Calypso, que ton supplice comblera de joie !

Ayant dit ces paroles, son esprit agité était déjà prêt à prendre des résolutions contraires. L’amour rappela dans son cœur le désir de retenir Télémaque. Qu’il vive, disait-elle en elle-même, qu’il demeure ici ; peut-être qu’il sentira enfin tout ce que j’ai fait pour lui. Eucharis ne saurait, comme moi, lui donner l’immortalité. Ô trop aveugle Calypso ! tu t’es trahie toi-même par ton serment : te voilà engagée ; et les ondes du Styx, par lesquelles tu as juré, ne te permettent plus aucune espérance. Personne n’entendait ces paroles : mais on voyait sur son visage les Furies peintes ; et tout le venin empesté du noir Cocyte semblait s’exhaler de son cœur.