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Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/256

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LIVRE xi.

répondit Idoménée, est-ce, mon cher Mentor, que tous ignorez la faiblesse et l’embarras des princes ? Quand ils sont une fois livrés à des hommes corrompus et hardis qui ont l’art de se rendre nécessaires, ils ne peuvent plus espérer aucune liberté. Ceux qu’ils méprisent le plus sont ceux qu’ils traitent le mieux et qu’ils comblent de bienfaits. J’avais horreur de Protésilas, et je lui laissais toute l’autorité. Étrange illusion ! je me savais bon gré de le connaître, et je n’avais pas la force de reprendre l’autorité que je lui avais abandonnée. D’ailleurs, je le trouvais commode, complaisant, industrieux pour flatter mes passions, ardent pour mes intérêts. Enfin j’avais une raison pour m’excuser en moi-même de ma faiblesse, c’est que je ne connaissais point de véritable vertu : faute d’avoir su choisir des gens de bien qui conduisissent mes affaires, je croyais qu’il n’y en avait point sur la terre, et que la probité était un beau fantôme. Qu’importe, disais-je, de faire un grand éclat pour sortir des mains d’un homme corrompu, et pour tomber dans celles de quelque autre qui ne sera ni plus désintéressé ni plus sincère que lui ? Cependant l’armée navale commandée par Polymène revint. Je ne songeai plus à la conquête de l’île de Carpathie ; et Protésilas ne put dissimuler si profondément, que je ne découvrisse combien il était affligé de savoir que Philoclès était en sûreté dans Samos.

Mentor interrompit encore Idoménée, pour lui demander s’il avait continué, après une si noire trahison, à confier toutes ses affaires à Protésilas. J’étais, lui répondit Idoménée, trop ennemi des affaires, et trop inappliqué, pour pouvoir me tirer de ses mains : il aurait fallu renverser l’ordre que j’avais établi, pour ma commodité, et instruire un nouvel homme ; c’est ce que je n’eus jamais la force