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Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/296

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LIVRE xii.

paroles : Ô Philoctète, qu’avez-vous fait de votre raison et de votre courage ? voici le moment de s’en servir. Si vous refusez de nous suivre pour remplir les grands desseins de Jupiter sur vous, adieu ; vous êtes indigne d’être le libérateur de la Grèce et le destructeur de Troie. Demeurez à Lemnos ; ces armes, que j’emporte, me donneront une gloire qui vous était destinée. Néoptolème, partons ; il est inutile de lui parler : la compassion pour un seul homme ne doit pas nous faire abandonner le salut de la Grèce entière.

Alors je me sentis comme une lionne à qui on vient d’arracher ses petits ; elle remplit les forêts de ses rugissements. Ô caverne, disais-je, jamais je ne te quitterai, tu seras mon tombeau ! Ô séjour de ma douleur, plus de nourriture, plus d’espérance ! Qui me donnera un glaive pour me percer ? Oh ! si les oiseaux de proie pouvaient m’enlever !… Je ne les percerai plus de mes flèches. Ô arc précieux, arc consacré par les mains du fils de Jupiter ! Ô cher Hercule, s’il te reste encore quelque sentiment, n’es-tu pas indigné ? Cet arc n’est plus dans les mains de ton fidèle ami ; il est dans les mains impures et trompeuses d’Ulysse. Oiseaux de proie, bêtes farouches, ne fuyez plus cette caverne, mes mains n’ont plus de flèches. Misérable, je ne puis vous nuire, venez m’enlever ! ou plutôt que la foudre de l’impitoyable Jupiter m’écrase !

Votre père, ayant tenté tous les autres moyens pour me persuader, jugea enfin que le meilleur était de me rendre mes armes ; il fit signe à Néoptolème, qui me les rendit aussitôt. Alors je lui dis : Digne fils d’Achille, tu montres que tu l’es. Mais laisse-moi percer mon ennemi. Aussitôt je voulus tirer une flèche contre votre père ; mais Néoptolème m’arrêta, en me disant : La colère vous trouble, et vous empêche de voir l’indigne action que vous voulez faire.