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Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/298

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LIVRE xii.

Tu guériras ; tu perceras de mes flèches Pâris, auteur de tant de maux. Après la prise de Troie, tu enverras de riches dépouilles à Péan ton père, sur le mont Œta ; ces dépouilles seront mises sur mon tombeau comme un monument de la victoire due à mes flèches. Et toi, ô fils d’Achille ! je te déclare que tu ne peux vaincre sans Philoctète, ni Philoctète sans toi. Allez donc comme deux lions qui cherchent ensemble leur proie. J’enverrai Esculape à Troie, pour guérir Philoctète. Surtout, ô Grecs, aimez et observez la religion : le reste meurt ; elle ne meurt jamais.

Après avoir entendu ces paroles, je m’écriai : Ô heureux jour, douce lumière, tu te montres enfin après tant d’années ! Je t’obéis, je pars après avoir salué ces lieux. Adieu, cher antre. Adieu, nymphes de ces près humides. Je n’entendrai plus le bruit sourd des vagues de cette mer. Adieu, rivage où tant de fois j’ai souffert les injures de l’air. Adieu, promontoire où Écho répéta tant de fois mes gémissements. Adieu, douces fontaines qui me fûtes si amères. Adieu, ô terre de Lemnos ; laisse-moi partir heureusement, puisque je vais où m’appelle la volonté des dieux et de mes amis !

Ainsi nous partîmes : nous arrivâmes au siège de Troie. Machaon et Podalyre, par la divine science de leur père Esculape, me guérirent, ou du moins me mirent dans l’état où vous me voyez. Je ne souffre plus ; j’ai retrouvé toute ma vigueur : mais je suis un peu boiteux. Je fis tomber Paris comme un timide faon de biche qu’un chasseur perce de ses traits. Bientôt Ilion fut réduite en cendres ; vous savez le reste. J’avais néanmoins encore je ne sais quelle aversion pour le sage Ulysse, par le souvenir de mes maux ; et sa vertu ne pouvait apaiser ce ressentiment : mais la vue d’un fils qui lui ressemble, et que je ne puis m’empêcher d’aimer, m’attendrit le cœur pour le père même.