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TÉLÉMAQUE.

retombait dans les affreuses ténèbres de la nuit. Une pluie abondante qui tomba dans l’instant servit encore à séparer les deux armées.

Adraste profita du secours des dieux, sans être touché de leur pouvoir, et mérita, par cette ingratitude, d’être réservé à une plus cruelle vengeance. Il se hâta de faire passer ses troupes entre le camp à demi brûlé et un marais qui s’étendait jusqu’à la rivière : il le fit avec tant d’industrie et de promptitude, que cette retraite montra combien il avait de ressource et de présence d’esprit. Les alliés, animés par Télémaque, voulaient le poursuivre ; mais, à la faveur de cet orage, il leur échappa, comme un oiseau d’une aile légère échappe aux filets des chasseurs.

Les alliés ne songèrent plus qu’à rentrer dans leur camp, et qu’à réparer leurs pertes. En rentrant dans le camp, ils virent ce que la guerre a de plus lamentable : les malades et les blessés, n’ayant pu se traîner hors des tentes, n’avaient pu se garantir du feu ; ils paraissaient à demi brûlés, poussant vers le ciel, d’une voix plaintive et mourante, des cris douloureux. Le cœur de Télémaque en fut percé : il ne put retenir ses larmes ; il détourna plusieurs fois ses yeux, étant saisi d’horreur et de compassion ; il ne pouvait voir sans frémir ces corps encore vivants, et dévoués à une longue et cruelle mort ; ils paraissaient semblables à la chair des victimes qu’on a brûlées sur les autels, et dont l’odeur se répand de tous côtés.

Hélas ! s’écriait Télémaque, voilà donc les maux que la guerre entraîne après elle ! Quelle fureur aveugle pousse les malheureux mortels ! ils ont si peu de jours à vivre sur la terre ! ces jours sont si misérables ! pourquoi précipiter une mort déjà si prochaine ? pourquoi ajouter tant de désolations affreuses à l’amertume dont les dieux ont rempli