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Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/352

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LIVRE xiv.

revoit son cher fils qu’elle avait cm mort ; et cette joie, qui échappe bientôt à la mère, ne s’enfuît jamais du cœur de ces hommes ; jamais elle ne languit un instant ; elle est toujours nouvelle pour eux : ils ont le transport de l’ivresse, sans en avoir le trouble et l’aveuglement.

Ils s’entretiennent ensemble de ce qu’ils voient et de ce qu’ils goûtent : ils foulent à leurs pieds les molles délices et les vaines grandeurs de leur ancienne condition qu’ils déplorent ; ils repassent avec plaisir ces tristes mais courtes années où ils ont eu besoin de combattre contre eux-mêmes et contre le torrent des hommes corrompus, pour devenir bons ; ils admirent le secours des dieux qui les ont conduits, comme par la main, à la vertu, au travers de tant de périls. Je ne sais quoi de divin coule sans cesse au travers de leurs cœurs, comme un torrent de la divinité même qui s’unit à eux ; ils voient, ils goûtent ; ils sont heureux, et sentent qu’ils le seront toujours. Ils chantent tous ensemble les louanges des dieux, et ils ne font tous ensemble qu’une seule voix, une seule pensée, un seul cœur : une même félicité fait comme un flux et reflux dans ces âmes unies.

Dans ce ravissement divin, les siècles coulent plus rapidement que les heures parmi les mortels ; et cependant mille et mille siècles écoulés n’ôtent rien à leur félicité toujours nouvelle et toujours entière. Ils règnent tous ensemble, non sur des trônes que la main des hommes peut renverser, mais en eux-mêmes, avec une puissance immuable ; car ils n’ont plus besoin d’être redoutables par une puissance empruntée d’un peuple vil et misérable. Ils ne portent plus ces vains diadèmes dont l’éclat cache tant de craintes et de noirs soucis : les dieux mêmes les ont couronnés de