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LIVRE xiv.

Télémaque, qui ne le reconnaissait point, était en peine et en suspens.

Je te pardonne, ô mon cher fils, lui dit le vieillard, de ne me point reconnaître ; je suis Arcésius, père de Laërte. J’avais fini mes jours un peu avant qu’Ulysse, mon petit fils, partit pour aller au siège de Troie ; alors tu étais encore un petit enfant entre les bras de ta nourrice : dès lors j’avais conçu de toi de grandes espérances ; elles n’ont point été trompeuses, puisque je te vois descendu dans le royaume de Pluton pour chercher ton père, et que les dieux te soutiennent dans cette entreprise. Ô heureux enfant, les dieux t’aiment, et te préparent une gloire égale à celle de ton père ! Ô heureux moi-même de te revoir ! Cesse de chercher Ulysse en ces lieux : il vit encore, et il est réservé pour relever notre maison dans l’île d’Ithaque. Laërte même, quoique le poids des années l’ait abattu, jouit encore de la lumière, et attend que son fils revienne lui fermer les yeux. Ainsi les hommes passent comme les fleurs qui s’épanouissent le matin, et qui le soir sont flétries et foulées aux pieds. Les générations des hommes s’écoulent comme les ondes d’un fleuve rapide ; rien ne peut arrêter le temps, qui entraîne après lui tout ce qui paraît le plus immobile. Toi-même, ô mon fils, mon cher fils ! toi-même, qui jouis maintenant d’une jeunesse si vive et si féconde en plaisirs, souviens-toi que ce bel âge n’est qu’une fleur qui sera presque aussitôt séchée qu’éclose. Tu te verras changer insensiblement : les grâces riantes, les doux plaisirs, la force, la santé, la joie, s’évanouiront comme un beau songe ; il ne t’en restera qu’un triste souvenir : la vieillesse languissante et ennemie des plaisirs viendra rider ton visage, courber ton corps, affaiblir tes membres, faire tarir dans ton cœur la source de la joie,