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Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/356

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LIVRE xiv.

En disant ces paroles, Arcésius paraissait animé d’un feu divin, et montrait à Télémaque un visage plein de compassion pour les maux qui accompagnent la royauté. Quand elle est prise, disait-il, pour se contenter soi-même, c’est une monstrueuse tyrannie ; quand elle est prise pour remplir ses devoirs et pour conduire un peuple innombrable comme un père conduit ses enfants, c’est une servitude accablante qui demande un courage et une patience héroïque. Aussi est-il certain que ceux qui ont régné avec une sincère vertu possèdent ici tout ce que la puissance des dieux peut donner pour rendre une félicité complète !

Pendant qu’Arcésius parlait de la sorte, ces paroles entraient jusqu’au fond du cœur de Télémaque : elles s’y gravaient, comme un habile ouvrier, avec son burin, grave sur l’airain les figures ineffaçables qu’il veut montrer aux yeux de la plus reculée postérité. Ces sages paroles étaient comme une flamme subtile qui pénétrait dans les entrailles du jeune Télémaque ; il se sentait ému et embrasé ; je ne sais quoi de divin semblait fondre son cœur au dedans de lui. Ce qu’il portait dans la partie la plus intime de lui-même le consumait secrètement ; il ne pouvait ni le contenir, ni le supporter, ni résister à une si violente impression : c’était un sentiment vif et délicieux, qui était mêlé d’un tourment capable d’arracher la vie.

Ensuite Télémaque commença à respirer plus librement. Il reconnut dans le visage d’Arcésius une grande ressemblance avec Laërte ; il croyait même se ressouvenir confusément d’avoir vu en Ulysse, son père, des traits de cette même ressemblance, lorsque Ulysse partit pour le siège de Troie. Ce ressouvenir attendrit son cœur ; des larmes douces et mêlées de joie coulèrent de ses yeux : il voulut embrasser une personne si chère ; plusieurs fois il