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Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/411

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TÉLÉMAQUE.

daine et violente qui puisse ramener dans son cours naturel cette puissance débordée : souvent même le coup qui pourrait la modérer l’abat sans ressource. Rien ne menace tant d’une chute funeste qu’une autorité qu’on pousse trop loin : elle est semblable à un arc trop tendu, qui se rompt enfin tout à coup si on ne le relâche : mais qui est-ce qui osera le relâcher ? Idoménée était gâté jusqu’au fond du cœur par cette autorité si flatteuse : il avait été renversé de son trône ; mais il n’avait pas été détrompé. Il a fallu que les dieux nous aient envoyés ici, pour le désabuser de cette puissance aveugle et outrée qui ne convient point à des hommes ; encore a-t-il fallu des espèces de miracles pour lui ouvrir les yeux.

L’autre mal presque incurable est le luxe. Comme la trop grande autorité empoisonne les rois, le luxe empoisonne toute une nation. On dit que ce luxe sert à nourrir les pauvres aux dépens des riches ; comme si les pauvres ne pouvaient pas gagner leur vie plus utilement, en multipliant les fruits de la terre, sans amollir les riches par des raffinements de volupté. Toute une nation s’accoutume à regarder comme les nécessités de la vie les choses les plus superflues : ce sont tous les jours de nouvelles nécessités qu’on invente, et on ne peut plus se passer des choses qu’on ne connaissait point trente ans auparavant. Ce luxe s’appelle bon goût, perfection des arts, et politesse de la nation. Ce vice, qui en attire tant d’autres, est loué comme une vertu ; il répand sa contagion depuis le roi jusqu’aux derniers de la lie du peuple. Les proches parents du roi veulent imiter sa magnificence ; les grands, celle des parents du roi ; les gens médiocres veulent égaler les grands, car qui est-ce qui se fait justice ? les petits veulent passer pour médiocres : tout le monde fait plus qu’il ne peut ; les uns par