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Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/415

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TÉLÉMAQUE.

elle les frappe trop, elle rétrécit leur esprit ; car on ne juge sainement des affaires que quand on les compare toutes ensemble, et qu’on les place toutes dans un certain ordre, afin qu’elles aient de la suite et de la proportion. Manquer à suivre cette règle dans le gouvernement, c’est ressembler à un musicien qui se contenterait de trouver des sons harmonieux, et qui ne se mettrait point en peine de les unir et de les accorder pour en composer une musique douce et touchante. C’est ressembler aussi à un architecte qui croit avoir tout fait pourvu qu’il assemble de grandes colonnes et beaucoup de pierres bien taillées, sans penser à l’ordre et à la proportion des ornements de son édifice. Dans le temps qu’il fait un salon, il ne prévoit pas qu’il faudra faire un escalier convenable ; quand il travaille au corps du bâtiment, il ne songe ni à la cour, ni au portail. Son ouvrage n’est qu’un assemblage confus de parties magnifiques, qui ne sont point faites les unes pour les autres ; cet ouvrage, loin de lui faire honneur, est un monument qui éternisera sa honte ; car l’ouvrage fait voir que l’ouvrier n’a pas su penser avec assez d’étendue pour concevoir à la fois le dessein général de tout son ouvrage : c’est un caractère d’esprit court et subalterne. Quand on est né avec ce génie borné au détail, on n’est propre qu’à exécuter sous autrui. N’en doutez pas, ô mon cher Télémaque, le gouvernement d’un royaume demande une certaine harmonie comme la musique, et de justes proportions comme l’architecture.

Si vous voulez que je me serve encore de la comparaison de ces arts, je vous ferai entendre combien les hommes qui gouvernent par le détail sont médiocres. Celui qui, dans un concert, ne chante que certaines choses, quoiqu’il les chante parfaitement, n’est qu’un chanteur ;