Aller au contenu

Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/440

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
423
LIVRE xviii.

que vrai et solide mérite, pour discerner ceux qui en ont d’avec ceux qui n’en ont pas.

On ne cesse de parler de vertu et de mérite, sans savoir ce que c’est précisément que le mérite et la vertu. Ce ne sont que de beaux noms, que des termes vagues, pour la plupart des hommes, qui se font honneur d’en parler à toute heure. Il faut avoir des principes certains de justice, de raison, de vertu, pour connaître ceux qui sont raisonnables et vertueux. Il faut savoir les maximes d’un bon et sage gouvernement, pour connaître les hommes qui ont ces maximes, et ceux qui s’en éloignent par une fausse subtilité. En un mot, pour mesurer plusieurs corps, il faut avoir une mesure fixe ; pour juger, il faut tout de même avoir des principes constants auxquels tous nos jugements se réduisent. Il faut savoir précisément quel est le but de la vie humaine, et quelle fin on doit se proposer en gouvernant les hommes. Ce but unique et essentiel est de ne vouloir jamais l’autorité et la grandeur pour soi ; car cette recherche ambitieuse n’irait qu’à satisfaire un orgueil tyrannique : mais on doit se sacrifier, dans les peines infinies du gouvernement, pour rendre les hommes bons et heureux. Autrement on marche à tâtons et au hasard pendant toute la vie : on va comme un navire en pleine mer, qui n’a point de pilote, qui ne consulte point les astres, et à qui toutes les côtes voisines sont inconnues ; il ne peut faire que naufrage.

Souvent les princes, faute de savoir en quoi consiste la vraie vertu, ne savent point ce qu’ils doivent chercher dans les hommes. La vraie vertu a pour eux quelque chose d’âpre ; elle leur paraît trop austère et indépendante ; elle les effraye et les aigrit : ils se tournent vers la flatterie. Dès lors ils ne peuvent plus trouver ni de sincérité ni de vertu ;