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LIVRE xviii.

puissance de Minerve. Télémaque est étonné de voir cet assoupissement universel des Salentins, pendant que les Phéaciens avaient été si attentifs et si diligents pour profiter du vent favorable. Mais il est encore plus occupé à regarder le vaisseau phéacien prêt à disparaître au milieu des flots, qu’à marcher vers les Salentins pour les éveiller ; un étonnement et un trouble secret tient ses yeux attachés vers ce vaisseau déjà parti, dont il ne voit plus que les voiles qui blanchissent un peu dans l’onde azurée. Il n’écoute pas même Mentor qui lui parle, et il est tout hors de lui-même, dans un transport semblable à celui des Ménades, lorsqu’elles tiennent le thyrse en main, et qu’elles font retentir de leurs cris insensés les rives de l’Hèbre, avec les monts Rhodope et Ismare.

Enfin, il revient un peu de cette espèce d’enchantement ; et les larmes recommencent à couler de ses yeux. Alors Mentor lui dit : Je ne m’étonne point, mon cher Télémaque, de vous voir pleurer ; la cause de votre douleur, qui vous est inconnue, ne l’est pas à Mentor : c’est la nature qui parle, et qui se fait sentir ; c’est elle qui attendrit votre cœur. L’inconnu qui vous a donné une si vive émotion est le grand Ulysse : ce qu’un vieillard phéacien vous a raconté a de lui, sous le nom de Cléomènes, n’est qu’une fiction faite pour cacher plus sûrement le retour de votre père dans son royaume. Il s’en va tout droit à Ithaque ; déjà il est bien près du port, et il revoit enfin ces lieux si longtemps désirés. Vos yeux l’ont vu, comme on vous l’avait prédit autrefois, mais sans le connaître : bientôt vous le verrez, et vous le connaîtrez, et il vous connaîtra ; mais maintenant les dieux ne pouvaient permettre votre reconnaissance hors d’Ithaque. Son cœur n’a pas été moins ému que le vôtre ; il est trop sage pour se découvrir à nul mortel dans un lieu