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Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/465

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FABLES.

montrer, étant si dégoûtants et si horribles. Mais enfin il se présenta une jeune fille de village, belle comme le jour, qui demanda la couronne pour prix de sa jeunesse ; elle se nommait Péronnelle. La reine s’en fâcha d’abord : mais que faire ? à quoi sert-il de se fâcher ? elle voulait rajeunir. Partageons, dit-elle à Péronnelle, mon royaume ; vous en aurez une moitié, et moi l’autre : c’est bien pour vous qui êtes une petite paysanne. Non, répondit la fille, ce n’est pas assez pour moi : je veux tout. Laissez-moi mon bavolet, avec mon teint fleuri, je vous laisserai vos cent ans, avec vos rides et la mort qui vous talonne. Mais aussi, répondit la reine, que ferais-je, si je n’avais plus de royaume ? Vous ririez, vous danseriez, vous chanteriez comme moi, lui dit cette fille. En parlant ainsi elle se mit à rire, à danser et à chanter. La reine, qui était bien loin d’en faire autant, lui dit : Que feriez-vous en ma place ? vous n’êtes point accoutumée à la vieillesse. Je ne sais pas, dit la paysanne, ce que je ferais : mais je voudrais bien l’essayer ; car j’ai toujours ouï dire qu’il est beau d’être reine. Pendant qu’elles étaient en marché, la fée survint, qui dit à la paysanne : Voulez-vous faire votre apprentissage de vieille reine, pour savoir si ce métier vous accommodera ? Pourquoi non ? dit la fille. À l’instant les rides couvrent son front ; ses cheveux blanchissent ; elle devient grondeuse et rechignée ; sa tête branle, et toutes ses dents aussi ; elle a déjà cent ans. La fée ouvre une petite boîte, et en tire une foule d’officiers et de courtisans richement vêtus, qui croissent à mesure qu’ils en sortent, et qui rendent mille respects à la nouvelle reine. On lui sert un grand festin : mais elle est dégoûtée, et ne saurait mâcher ; elle est honteuse et étonnée ; elle ne sait ni que dire ni que faire ; elle tousse à crever ; elle crache sur son menton ; elle a au nez une roupie gluante qu’elle essuie avec sa manche ; elle se regarde au miroir, et se trouve plus laide qu’une guenuche. Cependant la véritable reine était dans un coin, qui riait, et qui commençait à devenir jolie ; ses cheveux revenaient, et ses dents aussi ; elle reprenait un