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FABLES.

Vous aimeriez trop le second, vous seriez trop aimée du premier ; tous deux vous rendraient malheureuse : c’est bien assez que le troisième ne vous batte point. Il vaut mieux danser sur l’herbe ou sur la fougère que dans un palais, et être Péronnelle au village qu’une dame malheureuse dans le beau monde. Pourvu que vous n’ayez aucun regret aux grandeurs, vous serez heureuse avec votre laboureur toute votre vie.





II. Histoire de la reine Gisèle et de la fée Corysante.




Il était une fois une reine nommé Gisèle, qui avait beaucoup d’esprit et un grand royaume. Son palais était tout de marbre ; le toit était d’argent ; tous les meubles, qui sont ailleurs de fer ou de cuivre, étaient couverts de diamants. Cette reine était fée ; et elle n’avait qu’à faire des souhaits, aussitôt tout ce qu’elle voulait ne manquait pas d’arriver. Il n’y avait qu’un seul point qui ne dépendait pas d’elle ; c’est qu’elle avait cent ans, et elle ne pouvait se rajeunir Elle avait été plus belle que le jour, et elle était devenue si laide et si horrible, que les gens même qui venaient lui faire la cour cherchaient, en lui parlant, des prétextes pour tourner la tête de peur de la regarder. Elle était toute courbée, tremblante, boiteuse, ridée, crasseuse, chassieuse, toussant et crachant toute la journée avec une saleté qui faisait bondir le cœur. Elle était borgne et presque aveugle ; ses yeux de travers avaient une bordure d’écarlate : enfin elle avait une barbe grise au menton. En cet état, elle ne pouvait se regarder elle même, et elle avait fait casser tous les miroirs de son palais. Elle n’y pouvait souffrir aucune jeune personne d’une figure raisonnable. Elle ne se faisait servir que par des gens borgnes, bossus, boiteux et estropiés. Un jour on présenta à la reine une jeune fille de quinze ans, d’une merveilleuse beauté, nommée Corysante. D’abord elle se récria : Qu’on ôte cet objet de devant mes yeux. Mais la mère de cette jeune fille lui