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FABLES

accorda donc à celui-ci qu’il irait dans le corps d’un homme. Mais comme le dieu eut honte de l’envoyer dans le corps d’un homme sage et vertueux, il le destina au corps d’un harangueur ennuyeux et importun, qui mentait, qui se vantait sans cesse, qui faisait des gestes ridicules, qui se moquait de tout le monde, qui interrompait toutes les conversations les plus polies et les plus solides, pour dire des riens, ou les sottises les plus grossières. Mercure, qui le reconnut dans ce nouvel état, lui dit en riant : Ho ! ho ! je te reconnais ; tu n’es qu’un composé du singe et du perroquet que j’ai vus autrefois. Qui t’ôterait tes gestes et tes paroles apprises par cœur, sans jugement, ne laisserait rien de toi. D’un joli singe et d’un bon perroquet, on n’en fait qu’un sot homme. Oh ! combien d’hommes dans le monde, avec des gestes façonnés, un petit caquet et un air capable, n’ont ni sens ni conduite !





XIX. Les deux Souris.




Une souris ennuyée de vivre dans les périls et dans les alarmes, à cause de Mitis et de Rodilardus qui faisaient grand carnage de la nation souriquoise, appela sa commère, qui était dans un trou de son voisinage. Il m’est venu, lui dit-elle, une bonne pensée. J’ai lu, dans certains livres que je rongeais ces jours passés, qu’il y a un beau pays nommé les Indes, où notre peuple est mieux traité et plus en sûreté qu’ici. En ce pays-là, les sages croient que l’âme d’une souris a été autrefois l’âme d’un grand capitaine, d’un roi, d’un merveilleux fakir, et qu’elle pourra, après la mort de la souris, entrer dans le corps de quelque belle dame ou de quelque grand pandiar[1]. Si je m’en souviens bien, cela s’appelle

  1. Dans l’édition de Didot et dans celles qui l’ont suivie, on lit potentat. L’édition de 1718 porte pandiar, et Fénelon a écrit pandiar. On appelle