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FABLES.

deste et sensé, on va chercher son malheur bien loin : autant vaudrait-il le trouver chez soi.





XX. Le Pigeon puni de son inquiétude.




Deux pigeons vivaient ensemble dans un colombier avec une paix profonde. Ils fendaient l’air de leurs ailes, qui paraissaient immobiles par leur rapidité. Ils se jouaient en volant l’un auprès de l’autre, se fuyant et se poursuivant tour à tour. Puis ils allaient chercher du grain dans l’aire du fermier, ou dans les prairies voisines. Aussitôt ils allaient se désaltérer dans l’onde pure d’un ruisseau qui coulait au travers de ces prés fleuris. De là ils revenaient voir leurs pénates dans le colombier blanchi et plein de petits trous : ils y passaient le temps dans une douce société avec leurs fidèles compagnes. Leurs cœurs étaient tendres ; le plumage de leurs cous était changeant, et peint d’un plus grand nombre de couleurs que l’inconstante Iris. On entendait le doux murmure de ces heureux pigeons, et leur vie était délicieuse. L’un d’eux se dégoûtant des plaisirs d’une vie paisible, se laissa séduire par une folle ambition, et livra son esprit aux projets de la politique. Le voilà qui abandonne son ancien ami ; il part, il va du côté du Levant. Il passe au-dessus de la mer Méditerranée, et vogue avec ses ailes dans les airs comme un navire avec ses voiles dans les ondes de Téthys. Il arrive à Alexandrette : de là il continue son chemin, traversant les terres jusqu’à Alep. En y arrivant, il salue les autres pigeons de la contrée, qui servent de courriers réglés, et il envie leur bonheur. Aussitôt il se répand parmi eux un bruit qu’il est venu un étranger de leur nation, qui a traversé des pays immenses. Il est mis au rang des courriers : il porte toutes les semaines les lettres d’un bacha attachées à son pied, et il fait vingt-huit lieues en moins d’une journée. Il est orgueilleux de porter les secrets de l’État, et il a pitié de son ancien compagnon,