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FABLES.

ger ; il n’avait qu’à dormir dans une loge où on avait soin de le faire coucher mollement. Un eunuque blanc avait soin de peigner deux fois le jour sa longue crinière dorée. Comme il était apprivoisé, le roi même le caressait souvent. Il était gras, poli, de bonne mine, et magnifique ; car il portait un collier d’or, et on lui mettait aux oreilles des pendants garnis de perles et de diamants : il méprisait tous les autres lions qui étaient dans des loges voisines, moins belles que la sienne, et qui n’étaient pas en faveur comme lui. Ces prospérités lui enflèrent le cœur ; il crut être un grand personnage, puisqu’on le traitait si honorablement. La cour où il brillait lui donna le goût de l’ambition ; il s’imaginait qu’il aurait été un héros, s’il eût habité les forêts. Un jour, comme on ne l’attachait plus à sa chaîne, il s’enfuit du palais, et retourna dans le pays où il avait été nourri. Alors le roi de toute la nation lionne venait de mourir, et on avait assemblé les États pour lui choisir un successeur. Parmi beaucoup de prétendants, il y en avait un qui effaçait tous les autres par sa fierté et par son audace ; c’était cet autre lionceau, qui n’avait point quitté les déserts, pendant que son compagnon avait fait fortune à la cour. Le solitaire avait souvent aiguisé son courage par une cruelle faim ; il était accoutumé à ne se nourrir qu’au travers des plus grands périls et par des carnages ; il déchirait et troupeaux et bergers. Il était maigre, hérissé, hideux : le feu et le sang sortaient de ses yeux ; il était léger, nerveux, accoutumé à grimper, à s’élancer, intrépide, contre les épieux et les dards. Les deux anciens compagnons demandèrent le combat, pour décider qui régnerait. Mais une vieille lionne, sage et expérimentée, dont toute la république respectait les conseils, fut d’avis de mettre d’abord sur le trône celui qui avait étudié la politique à la cour. Bien des gens murmuraient, disant qu’elle voulait qu’on préférât un personnage vain et voluptueux à un guerrier qui avait appris, dans la fatigue et dans les périls, à soutenir les grandes affaires. Cependant l’autorité de la vieille lionne prévalut : on mit sur