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Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/523

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FABLES.

eaux, je cachai si bien ma tête superbe, qu’on n’a point encore pu, depuis ce temps-là, découvrir où est ma source et mon origine. Au lieu que les débordements déréglés des autres fleuves ravagent les campagnes, le mien, toujours régulier, répand l’abondance dans ces heureuses terres d’Égypte, qui sont plutôt un beau jardin qu’une campagne. Mes eaux dociles se partagent en autant de canaux qu’il plaît aux habitants pour arroser leurs terres et pour faciliter leur commerce. Tous mes bords sont pleins de villes, et on en compte jusques à vingt mille dans la seule Égypte. Vous savez que mes catadoupes ou cataractes font une chute merveilleuse de toutes mes eaux de certains rochers en bas, au-dessus des plaines d’Égypte. On dit même que le bruit de mes eaux, dans cette chute, rend sourds tous les habitants du pays. Sept bouches différentes apportent mes eaux dans votre empire ; et le Delta qu’elles forment est la demeure du plus sage, du plus savant, du mieux policé et du plus ancien peuple de l’univers ; il compte beaucoup de milliers d’années dans son histoire, et dans la tradition de ses prêtres. J’ai donc pour moi la longueur de mon cours, l’ancienneté de mes peuples, les merveilles des dieux accomplies sur mes rivages, la fertilité des terres par mes inondations, la singularité de mon origine inconnue. Mais pourquoi raconter tous mes avantages contre un adversaire qui en a si peu ? Il sort des terres sauvages et glacées des Scythes, se jette dans une mer qui n’a aucun commerce qu’avec des barbares ; ces pays ne sont célèbres que pour avoir été subjugués par Bacchus, suivi d’une troupe de femmes ivres et échevelées, dansant avec des thyrses en main. Il n’a sur ses bords ni peuples polis et savants, ni villes magnifiques, ni monuments de la bienveillance des dieux : c’est un nouveau venu qui se vante sans preuve. Ô puissant dieu, qui commandez aux vagues et aux tempêtes, confondez sa témérité.

C’est la vôtre qu’il faut confondre, répliqua alors le Gange. Vous êtes, il est vrai, plus anciennement connu ; mais vous