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FABLES.

firent les derniers efforts, mais inutilement, pour s’insinuer dans mon amitié. Leur division fut cause que les biens de notre père furent vendus ; je les achetai, et ils eurent la douleur de voir tout le bien de notre père passer dans les mains de celui à qui ils n’avaient pas voulu en donner la moindre partie : ainsi ils tombèrent tous dans une affreuse pauvreté. Mais après qu’ils eurent assez senti leur faute, je voulus leur montrer mon naturel ; je leur pardonnai, je les reçus dans ma maison, je leur donnai à chacun de quoi gagner du bien dans le commerce de la mer ; je les réunis tous ; eux et leurs enfants demeurèrent ensemble paisiblement chez moi ; je devins le père commun de toutes ces différentes familles. Par leur union et par leur application au travail, ils amassèrent bientôt des richesses considérables. Cependant la vieillesse, comme vous le voyez, est venue frapper à ma porte ; elle a blanchi mes cheveux et ridé mon visage ; elle m’avertit que je ne jouirai pas longtemps d’une si parfaite prospérité. Avant que de mourir, j’ai voulu voir encore une dernière fois cette terre qui m’est si chère, et qui me touche plus que ma patrie même, cette Lycie où j’ai appris à être bon et sage sous la conduite du vertueux Alcine. En y repassant par mer, j’ai trouvé un marchand d’une des îles Cyclades, qui m’a assuré qu’il restait encore à Délos un fils d’Orciloque, qui imitait la sagesse et la vertu de son grand-père Alcine. Aussitôt j’ai quitté la route de Lycie, et je me suis hâté de venir chercher, sous les auspices d’Apollon, dans son île, ce précieux reste d’une famille à qui je dois tout. Il me reste peu de temps à vivre : la Parque, ennemie de ce doux repos que les dieux accordent si rarement aux mortels, se hâtera de trancher mes jours ; mais je serai content de mourir, pourvu que mes yeux, avant que de se fermer à la lumière, aient vu le petit-fils de mon maître. Parlez maintenant, ô vous qui habitez avec lui dans cette île : le connaissez-vous ? pouvez-vous me dire où je le trouverai ? Si vous me le faites voir, puissent les dieux en récompense vous faire voir sur vos genoux les