Aller au contenu

Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/549

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
532
FABLES.

repas frugal, mais doux et tranquille, Aristonoüs ne voulut point se mettre à table. D’abord il fit ce qu’il put, sous divers prétextes, pour cacher sa modestie ; mais enfin, comme Sophronyme voulut le presser, il déclara qu’il ne se résoudrait jamais à manger avec le petit-fils d’Alcine, qu’il avait si longtemps servi dans la même salle. Voilà, lui disait-il, où ce sage vieillard avait accoutumé de manger ; voilà où il conversait avec ses amis ; voilà où il jouait à divers jeux : voici où il se promenait en lisant Hésiode et Homère ; voici où il se reposait la nuit. En rappelant ces circonstances, son cœur s’attendrissait, et les larmes coulaient de ses yeux. Après le repas, il mena Sophronyme voir la belle prairie où erraient ses grands troupeaux mugissants sur le bord du fleuve ; puis ils aperçurent les troupeaux de moutons qui revenaient des gras pâturages ; les mères bêlantes et pleines de lait y étaient suivies de leurs petits agneaux bondissants. On voyait partout les ouvriers empressés, qui animaient le travail pour l’intérêt de leur maître doux et humain, qui se faisait aimer d’eux, et leur adoucissait les peines de l’esclavage.

Aristonoüs ayant montré à Sophronyme cette maison, ces esclaves, ces troupeaux, et ces terres devenues si fertiles par une soigneuse culture, lui dit ces paroles : Je suis ravi de vous voir dans l’ancien patrimoine de vos ancêtres ; me voilà content, puisque je vous mets en possession du lieu où j’ai servi si longtemps Alcine. Jouissez en paix de ce qui était à lui, vivez heureux, et préparez-vous de loin par votre vigilance une fin plus douce que la sienne. En même temps il lui fait une donation de ce bien, avec toutes les solennités prescrites par les lois ; et il déclare qu’il exclut de sa succession ses héritiers naturels, si jamais ils sont assez ingrats pour contester la donation qu’il a faite au petit-fils d’Alcine son bienfaiteur. Mais ce n’est pas assez pour contenter le cœur d’Aristonoüs. Avant que de donner sa maison, il l’orne tout entière de meubles neufs, simples et modestes à la vérité, mais propres et agréables : il remplit les greniers des riches présents de Cérès,