Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/59

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de celui-ci était, au contraire de se défier des plus honnêtes gens : il ne savait point discerner les hommes droits et simples qui agissent sans déguisement, aussi n’avait-il jamais vu de gens de bien, car de telles gens ne vont point chercher un roi si corrompu. D’ailleurs, il avait vu, depuis qu’il était sur le trône, dans les hommes dont il s’était servi, tant de dissimulation, de perfidie, et de vices affreux déguisés sous les apparences de la vertu, qu’il regardait tous les hommes, sans exception comme s’ils eussent été masqués. Il supposait qu’il n’y a aucune sincère vertu sur la terre : ainsi il regardait tous les hommes comme étant à peu près égaux. Quand il trouvait un homme faux et corrompu, il ne se donnait point la peine d’en chercher un autre, comptant qu’un autre ne serait pas meilleur. Les bons lui paraissaient pires que les méchants les plus déclarés, parce qu’il les croyait aussi méchants et plus trompeurs.

Pour revenir à moi, je fus confondu avec les Chypriens, et j’échappai à la défiance pénétrante du roi. Narbal tremblait, dans la crainte que je ne fusse découvert : il lui en eût coûté la vie, et à moi aussi. Son impatience de nous voir partir était incroyable : mais les vents contraires nous retinrent assez longtemps à Tyr.

Je profitai de ce séjour pour connaître les mœurs des Phéniciens, si célèbres dans toutes les nations connues. J’admirais l’heureuse situation de cette grande ville, qui est au milieu de la mer, dans une île. La côte voisine est délicieuse par sa fertilité, par les fruits exquis qu’elle porte, par le nombre des villes et des villages qui se touchent presque ; enfin par la douceur de son climat : car les montagnes mettent cette côte à l’abri des vents brûlants du midi ; elle est rafraîchie par le vent du nord, qui souffle du