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TÉLÉMAQUE.

voulaient vivre simplement, et se contenter de satisfaire aux vrais besoins, on verrait partout l’abondance, la joie, la paix et l’union.

C’est ce que Minos, le plus sage et le meilleur de tous les rois, avait compris. Tout ce que vous verrez de plus merveilleux dans cette île est le fruit de ses lois. L’éducation qu’il faisait donner aux enfants rend les corps sains et robustes : on les accoutume d’abord à une vie simple, frugale et laborieuse ; on suppose que toute volupté amollit le corps et l’esprit, on ne leur propose jamais d’autre plaisir que celui d’être invincibles par la vertu, et d’acquérir beaucoup de gloire. On ne met pas seulement ici le courage à mépriser la mort dans les dangers de la guerre, mais encore à fouler aux pieds les trop grandes richesses, et les plaisirs honteux. Ici on punit trois vices, qui sont impunis chez les autres peuples : l’ingratitude, la dissimulation et l’avarice.

Pour le faste et la mollesse, on n’a jamais besoin de les réprimer ; car ils sont inconnus en Crète. Tout le monde y travaille, et personne ne songe à s’y enrichir ; chacun se croit assez payé de son travail par une vie douce et réglée où l’on jouit en paix et avec abondance de tout ce qui est véritablement nécessaire à la vie. On n’y souffre ni meubles précieux, ni habits magnifiques, ni festins délicieux, ni palais dorés. Les habits sont de laine fine et de belles couleurs, mais tout unis et sans broderie. Les repas y sont sobres ; on y boit peu de vin : le bon pain en fait la principale partie, avec les fruits que les arbres offrent comme d’eux-mêmes, et le lait des troupeaux. Tout au plus on y mange un peu de grosse viande sans ragoût : encore même a-t-on soin de réserver ce qu’il y a de meilleur dans les grands troupeaux de bœufs pour faire fleurir l’agriculture.