Page:Ferland, De Villers - Le sorcier de l'isle d'Anticosti - À la recherche de l'or - Au pays de la Louisiane, 1914.djvu/62

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 60 —

lait plaisanter ; mais s’étant assuré qu’il parlait sérieusement :

— M. Duval, s’écria-t-il, vous pouvez dire que vous avez vu mon dernier argent, car je suis disposé à porter une telle croix toute ma vie.

Robert sortit aussitôt en se félicitant de son bonheur, et, tout le long du chemin, il rit en lui-même de la folie de M. Duval, qui le rendait quitte de son loyer à si bon marché. Il n’avait jamais été en si joyeuse disposition qu’au moment où il rentra chez lui : aussi, ne trouva-t-il à redire sur rien.

Comme il s’était assis en arrivant, sa femme n’avait point d’abord remarqué la croix blanche qu’il avait sur l’épaule ; mais, ayant passé derrière son mari pour remonter le poids de sa pendule à coucou, elle s’écria tout-à-coup d’une voix aigre :

— Eh ! grand Dieu, Robert, où êtes-vous allé ! Vous avez là sur le dos une croix longue d’un pied : vous venez sans doute du cabaret, et quelque ivrogne de vos amis vous aura joué ce tour pour vous donner l’air d’un nigaud… comme si vous aviez besoin d’un accoutrement ridicule pour cela ! Levez-vous, et restez tranquille, que je brosse cette croix !

— Arrière ! s’écria Robert, en s’écartant vivement ; mes habits n’ont pas besoin de vous ; allez tricoter vos bas, et laissez ma veste en repos.

— Cela ne sera point ! s’écria la femme d’une voix encore plus perçante ; je ne veux pas que mon mari devienne la risée du village, et dussé-je mettre en pièce votre habit, vous ne garderez point cette croix ridicule.

En parlant ainsi, la ménagère s’efforçait de brosser l’épaule de Robert ; et celui-ci, qui savait que toute résistance eût été inutile, s’enfuit en jurant, et repoussa la porte après lui, avec violence.