Page:Feron - Le manchot de Frontenac, 1926.djvu/31

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château pour endosser d’autres vêtements et se mettre en quête d’Hermine. Tout le château tremblait au choc des détonations des canons du fort Saint-Louis. Et comme la veille les canons des navires anglais crachaient feu et fer sur la capitale, mais, heureusement, sans causer plus de dommages. Une bicoque avait pris feu, mais de suite des voisins avaient éteint l’incendie.

Cassoulet, réhabillé de neuf et quelque peu remis de sa mésaventure, quitta le château.

Il était quatre heures et le jour déclinait.

Des projectiles continuaient de fendre l’espace en sifflant. Plusieurs tombaient dans les rues sans causer d’autre mal que de faire éclater le pavé, de creuser des trous dans la chaussée. De temps en temps un toit était atteint. Alors on attendait un craquement, puis les habitants sortaient dans la rue et regardaient le toit défoncé. Ils hochaient la tête et rentraient dans leurs logis. Chose curieuse, en dépit du bombardement, Cassoulet remarqua beaucoup de monde dans les rues. Plusieurs allaient à leurs affaires comme d’habitude. Les boutiques et les échoppes étaient ouvertes, les magasins regorgeaient de clients, on rencontrait même de simples promeneurs. Qui l’aurait cru ? C’est que les boulets anglais ne faisaient aucun mal… si peu de mal que cette pluie de fer semblait amuser les enfants.

En effet, tout en se dirigeant vers la cathédrale, Cassoulet traversa des ribambelles d’enfants qui ramassaient dans les rues des boulets de fer pas plus gros que leur tête et en faisaient des pyramides. D’autres les enlevaient dans leurs petits bras et allaient les faire rouler dans une côte voisine. Tout ce petit monde n’avait jamais eu tant de plaisir. Leurs jeunes éclats de rire se confondaient avec le roulement terrible des batteries du Fort Saint-Louis qui, maintenant, commençaient à prendre le dessus et faisaient taire peu à peu les batteries anglaises. Non loin de la cathédrale, une commère sortit tout à coup de son logis, juste au moment où Cassoulet passait, traversa la rue et alla plus loin ramasser un boulet ennemi. Une voisine l’aperçut du seuil de sa porte.

— Qu’est-ce que vous voulez donc en faire, mère Giroux ? demanda la voisine étonnée.

— En faire ? fit la bonnefemme en mettant le boulet dans son tablier. Eh bien ! je vais vous dire, c’est pour mon vieux qui s’est enrhumé hier. Voyez-vous, il est couché et il a ses pieds gelés, et je veux faire chauffer cette boule pour lui mettre à ses pieds.

— Tiens, c’est une idée ! fit la voisine ébahie.

— Je vous crois, ma chère dame, c’est bien mieux qu’une brique, attendu que ça garde plus longtemps sa chaleur !

Et précipitamment la bonnefemme rentra chez elle avec son boulet.

Cassoulet arriva sur la Place de la Cathédrale où ne tombait, cette fois, nul projectile. Il revit l’endroit où, la veille, sa monture, Diane, était tombée ; il y avait encore du sang coagulé que les passants évitaient avec soin et en se signant, croyant que ce sang était celui du jeune sieur Baralier qu’on avait tenté d’assassiner la nuit précédente.

Notre héros gagna rapidement l’impasse au fond de laquelle était le logis d’Hermine.

Les volets étaient fermés et la porte close. Cassoulet frappa. Personne ne répondit. Il tâta la porte, elle n’était pas verrouillée. Il l’ouvrit et jeta un rapide regard dans l’intérieur. Le logis était désert, mais Cassoulet remarqua que le désordre produit par sa lutte avec Maître Turcot n’avait pas été réparé. Donc Hermine n’était pas revenue. Il referma la porte en soupirant.

Où était Hermine ?

Cette question inquiétante brûlait son esprit.

Au bout du logis il découvrit un étroit et obscur passage. C’est par ce passage qu’on se rendait dans une cour en arrière de la bicoque, et où se trouvait une autre bicoque qui servait de domicile à Maître Turcot. Mû par une curiosité bien naturelle, Cassoulet traversa le passage et la petite cour et alla frapper à la porte de l’autre bicoque.

Le lieutenant des gardes était sûr que Maître Turcot n’était pas là, qu’il était encore chez le chirurgien, entre la vie et la mort. Il pouvait donc frapper à cette porte sans danger. Sous son heurt la porte s’ouvrit, et le logis du suisse, comme celui d’Hermine, était désert. Seulement, là, dans ce logis d’un suisse de la cathédrale, la curiosité de Cassoulet éprouva une grande surprise. Le logis ressemblait à un cabaret mal famé, avec un désordre tel qu’il accusait une terrible orgie. C’était, de prime abord, un taudis de puanteur et de saleté.