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FABLE CXX.

LE TYRAN ET LA VILLAGEOISE.


Un prince qui n’aimoit ni ne craignoit les dieux,
Étoit pourtant très-superstitieux.
Cette bizarre inconséquence
Est plus commune qu’on ne pense,
Et même aux esprits forts : on pourroit en citer,
Sans faire un excès de mémoire,
Nombre de traits tous puisés dans l’histoire ;
Mais venons à celui que je veux raconter.
Une très-vieille femme habitant un village
Auprès de Syracuse, offroit dévot hommage
Pour le tyran. Ô ciel ! disoit-elle toujours,
À notre méchant prince accordez de longs jours !
Et quelquefois tout haut faisoit cette prière.
Un courtisan par hasard l’entendit,
Bientôt au prince il la redit,
Qui, comme lui, la trouva singulière.
La villageoise est mandée à l’instant,
Pour savoir quel motif la rend si téméraire.
On l’interroge ; elle dit hardiment :
J’ai toujours du mensonge ignoré le langage,
Seigneur, vous saurez tout sans nul déguisement.
J’ai connu votre aïeul, il étoit très-méchant,
Votre père encor davantage,
Vous avez enchéri sur eux ;
Car nous sommes, seigneur, beaucoup plus malheureux :
Si votre fils qui n’est ni doux ni sage,
Vous succédant, étoit pire que vous,