Page:Ferry - Discours et opinions, tome 1.djvu/295

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plainte est celle de gens qui résistent, sans peut-être s’en rendre compte, au courant de la civilisation moderne, et qui ne peuvent se résoudre à prendre leur parti de l’ère démocratique où nous sommes entrés. (Applaudissements.)

Non ! nous ne sommes pas une société en décadence, parce que nous sommes une société démocratique ; nous avons fait ces deux grandes choses : nous avons affranchi le droit de vote et le droit au travail ; c’en est assez, et nous pouvons bien, une fois par hasard, nous qui nous laissons aller, comme tout le monde, à médire du temps présent, nous abandonner à un élan d’estime pour nous-mêmes, et dire : Oui ! nous sommes un grand siècle. (Applaudissements nombreux.)

Mais nous sommes un grand siècle à de certaines conditions : nous sommes un grand siècle à la condition de bien connaître quelle est l’œuvre, quelle est la mission, quel est le devoir de notre siècle. Le siècle dernier et le commencement de celui-ci ont anéanti les privilèges de la propriété, les privilèges et la distinction des classes ; l’œuvre de notre temps n’est pas assurément plus difficile. A coup sûr, elle nécessitera de moindres orages, elle exigera de moins douloureux sacrifices ; c’est une œuvre pacifique, c’est une œuvre généreuse, et je la définis ainsi : faire disparaître la dernière, la plus redoutable des inégalités qui viennent de la naissance, l’inégalité d’éducation. C’est le problème du siècle et nous devons nous y rattacher. Et, quant à moi, lorsqu’il m’échut ce suprême honneur de représenter une portion de la population parisienne dans la Chambre des députés, je me suis fait un serment : entre toutes les nécessités du temps présent, entre tous les problèmes, j’en choisirai un auquel je consacrerai tout ce que j’ai d’intelligence, tout ce que j’ai d’âme, de cœur, de puissance physique et morale, c’est le problème de l’éducation du peuple. (Vifs applaudissements.)

L’inégalité d’éducation est, en effet, un des résultats les plus criants et les plus fâcheux, au point de vue social, du hasard de la naissance. Avec l’inégalité d’éducation, je vous défie d’ avoir jamais l’égalité des droits, non l’égalité théorique, mais l’égalité réelle, et l’égalité des droits est pourtant le fond même et l’essence de la démocratie.

Faisons une hypothèse et prenons la situation dans un de ses