Page:Ferry - Discours et opinions, tome 1.djvu/299

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immortelle ; ils y verront, sous le titre de l’éducation de Gargantua, la plus comique parodie du système, avec le catalogue des livres vermoulus, des rudiments invraisemblables, des méthodes absurdes et grotesques qui formaient le fond de cette vieille pédagogie du moyen âge qui comptait Gargantua parmi ses plus beaux produits. (Rires.)

Après Rabelais, qui s’égayait sur ce sujet comme sur les autres, la critique austère se mit de la partie : entre autres, Milton, l’auteur du Paradis perdu (Rires.), qui, comme vous le savez, a écrit sur toutes choses, sur la philosophie et sur la religion, car ce n’était pas seulement un poète, c’était un polémiste, un journaliste des plus passionnés et des plus féconds de son temps. Milton reprit avec chaleur la thèse que Rabelais avait esquissée ; il s’éleva avec éloquence contre ce système qui consiste, disait-il, à faire ratisser du latin aux jeunes générations pendant sept à huit ans, tandis qu’en un an ou deux on pourrait en voir la fin.

C’est qu’aussi, messieurs, à cette époque, le mouvement scientifique moderne faisait dans le monde sa première apparition ; et voilà ce qui donnait le coup mortel à l’éducation commune, arriérée et routinière de l’école chrétienne. D’une nouvelle direction de la pensée humaine, un nouveau système d’éducation devait sortir. Ce système se développa, se précisa avec le temps, et un jour il trouva son prophète, son apôtre, son maître dans la personne d’un des plus grands philosophes dont le dix-huitième siècle et l’humanité puissent s’honorer, dans un homme qui a ajouté à une conviction philosophique, à une valeur intellectuelle incomparable, une conviction républicaine, poussée jusqu’au martyre ; je veux parler de Condorcet. (Applaudissements.) C’est Condorcet qui, le premier, a formulé, avec une grande précision de théorie et de détails, le système d’éducation qui convient à la société moderne.

J’avoue que je suis resté confondu quand, cherchant à vous apporter ici autre chose que mes propres pensées, j’ai rencontré dans Condorcet ce plan magnifique et trop peu connu d’éducation républicaine. Je vais tâcher de vous en décrire les traits principaux : c’est bien, à mon avis, le système d’éducation normal, logique, nécessaire, celui autour duquel nous tournerons peut-être longtemps encore, et que nous finirons, un jour ou l’autre, par nous approprier.