Page:Ferry - Discours et opinions, tome 1.djvu/307

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est bien étranger aux délicatesses de l’âme humaine, qui n’a jamais été frappé de ce qu’il y a d’inouï et de choquant dans la répartition des biens de ce monde ! Pour moi, je l’avoue, ce trouble de conscience, celle secrète inquiétude qu’inspire le spectacle de l’extrême inégalité des conditions, je l’éprouve depuis que j’ai l’âge de raison, et je me suis fait un devoir, c’est de chercher à atténuer, autant qu’il sera en moi, ce privilège de la naissance, en vertu duquel j’ai pu acquérir un peu de savoir, moi qui n’ai eu que la peine de naître, tandis que tant d’autres, nés dans la pauvreté, sont fatalement voués à l’ignorance. (Bravo ! bravo !)

Aussi, je le dis bien haut : il est juste, il est nécessaire que le riche paye l’enseignement du pauvre, et c’est par là que la propriété se légitime, et c’est ainsi que se marquera ce degré d’avancement moral et de civilisation, qui, peu à peu, substitue au droit du plus fort ou du plus riche, le devoir du plus fort ! (Applaudissements.)

Tel est, messieurs, l’enseignement américain ; il a un dernier caractère auquel je tiens par-dessus toutes choses : c’est la liberté. Il est libre, et libre au point de ne laisser qu’une très petite place à une institution française, à ce système de l’internat, pour lequel je professe une horreur profonde : l’internat est très rare en Amérique, et, dans tous les cas, il ne s’applique jamais aux enfants d’un âge tendre, mais seulement à de grands garçons, et sans jamais prendre avec eux, comme on le fait chez nous, le caractère de la servitude et les allures de la caserne. (Applaudissements.)

Et savez-vous pourquoi cet enseignement a pour trait principal la liberté ? C’est qu’il dépend par-dessus tout de la commune, de la généralité des habitants et de ses élus, et non d’une administration quelconque.

Les communes sont, comme je l’ai déjà dit, des groupes occupant, en moyenne, deux lieues carrées ; la population choisit elle-même son bureau d’instruction publique, ses select-men, comme on dit, les uns chargés des finances, les autres du matériel, les autres de la surveillance des maîtres et des études. Et c’est comme cela qu’il y a, tout compte fait, sur la surface de l’Union Américaine, 500 000 citoyens qui se consacrent volontairement à la direction, à la surveillance, au progrès de