Page:Fertiault - Le Carillon du collier, 1867.djvu/21

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Est-il vrai qu’à ce point l’être se transfigure ?
D’heure en heure à nos yeux cette femme grandit.
Une lueur austère éclaire sa figure,
Et d’un verbe incisif elle s’arme : — « Maudit ! »

Clame-t-elle. « À son tour, maudit, maudit soit l’Homme !
Il vient de me jeter son anathème au front,
Le grand juge ! et pourtant le grand juge sait comme
Son bilan et le mien un jour se solderont.

Il l’a pris de bien haut, et sa noble colère
A largement tonné sa faconde sur moi.
Dans mon abjection qu’il a dû se complaire !…
Avoir su dans mon sein faire sourdre l’émoi !!…

Incontestablement c’était de la puissance,
Car à l’émoi mon sein n’est plus accoutumé.
Bon ! Aussi je réserve une autre jouissance
À ce moral lutteur si rudement formé.

Oui, certes, je suis vile, et vile, et vile encore ;
Je mérite cent fois les haillons du mépris,
Et le luxe effréné qui partout me décore
Peut longtemps luire avant d’ajouter à mon prix.

Oui, mon cœur est un piége et mon âme est de fange ;
Oui, je suis la scorie au milieu du filon ;
L’honnête, en me voyant sur son chemin, se range…
Pour ne point me frapper du coin de son talon.

Prompte, j’ai descendu l’échelle d’infamie ;
J’ai roulé dans le gouffre, et n’en sortirai plus.
Précipitée ainsi, je suis votre ennemie…
Mais qui donc m’a poussée, ô Messieurs les Élus ?