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LA RELIGION

aveugle celui qui dans le vol des oiseaux n’aperçoit pas une sagesse supérieure qui a pensé pour eux. » Oui, il doit être aveugle s’il ne voit pas que c’est l’homme qui fait de son être le type de la nature, de l’intelligence la force première, de ses idées abstraites des lois universelles, lois que les oiseaux doivent suivre dans leur vol, comme les cavaliers les règles de l’équitation, les nageurs celles de la natation, avec cette différence que chez eux l’emploi des règles du vol est quelque chose d’inné. Le vol chez les oiseaux n’est point un art ; ils ne peuvent pas voler autrement qu’ils ne volent, ils ne peuvent pas même ne pas voler, il faut qu’ils volent. L’animal n’a le pouvoir de faire qu’une seule chose, et il la fait d’une manière admirable, parfaite, parce que l’accomplissement de cette chose unique épuise toute sa puissance, exprime entièrement sa nature. Si tu ne peux t’expliquer sans leur présupposer une intelligence les actions des animaux, surtout de ceux qui sont doués de penchants dits artistiques, cela provient tout simplement de ce que tu t’imagines que les objets de leur activité sont pour eux objet, de la même manière qu’ils sont objet de ta conscience et de ta pensée. Regardes-tu les œuvres des animaux comme des œuvres d’art, comme des œuvres arbitraires, tu dois naturellement leur donner pour cause l’intelligence, parce qu’aucune œuvre d’art ne se fait sans choix, sans dessein, sans intelligence, et puisque l’expérience te montre que les animaux ne pensent pas, tu es nécessairement conduit à faire penser un autre être à leur place[1]. « Qui pourrait se mêler de

  1. C’est ainsi qu’en général dans toutes les conclusions tirées des phénomènes naturels et tendant à prouver un Dieu, les prémisses sont empruntées à la nature humaine ; dès lors rien d’étonnant que le résultat soit un être humain ou semblable à l’homme. Le monde est-il une machine, naturellement il doit avoir un constructeur, un architecte. Les êtres naturels sont-ils aussi indépendants les uns des autres que les individus humains, qui ne se laissent employer et réunir dans un but quelconque, comme par exemple le service militaire, que par une puissance supérieure, nécessairement il doit y avoir un régent, un général en chef de la nature, « un capitaine des nuages » pour que tout ne tombe pas dans l’anarchie. L’homme fait d’abord de la nature, sans en avoir conscience, une œuvre humaine, c’est-à-dire il fait de son être même l’être fondamental ; mais comme ensuite il remarque une différence entre les œuvres de la nature et celles de l’art humain, cet être qui est le sien lui apparaît autre, mais analogue, semblable. Toutes les preuves de l’existence de Dieu n’ont par conséquent qu’une signification logique ou plutôt anthropologique.