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LA RELIGION

la vie et de la mort, de l’enfer et du ciel, sont les fils de deux puissances suprêmes, l’espérance et la crainte, gui illuminent en les peuplant d’êtres imaginaires les ténébreuses profondeurs des âges qui ne sont pas encore. Le présent est prosaïque, accompli, immuable, exclusif ; en lui l’imagination et la réalité ne font qu’un ; il ne laisse à la divinité aucune place ; en un mot, il est impie. Mais l’avenir est l’empire de la poésie, l’empire du hasard et d’innombrables possibilités ; il peut être tel que je le désire ou tel que je le crains ; il hésite entre l’être et le non-être ; bien au-dessus de la « commune et grossière réalité, » il appartient encore à un monde invisible mis en mouvement non par les lois de la pesanteur, mais par la puissance de nos nerfs sensibles. » Tel est le monde des dieux, et l’attribut essentiel de ces dieux c’est la bonté. Mais comment peuvent-ils être bons s’ils ne sont pas tout-puissants et si dans les cas décisifs ils ne se montrent pas maîtres de la nature, amis et bienfaiteurs de l’homme, en un mot, s’ils ne font pas de miracles. La divinité ou plutôt la nature a pourvu l’homme pour sa conservation de forces corporelles et spirituelles ; mais ces moyens naturels sont-ils toujours suffisants ? ne se présente-t-il pas souvent des cas où nous sommes perdus sans ressource si une main surnaturelle n’arrête pas le cours inexorable des choses ? Les miracles sont par conséquent inséparables de la Providence divine ; seuls ils nous révèlent et nous prouvent qu’il y a des dieux, c’est-à-dire des puissances, des êtres qui diffèrent de la nature et lui sont supérieurs. Rejeter les miracles, c’est rejeter les dieux eux-mêmes. En quoi diffèrent les hommes et les dieux ? en ce que ceux-ci possèdent à un