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LA RELIGION

tir directement, pourquoi un père spirituel ne s’emparerait-il pas de mon intelligence et de ma volonté dans le but d’accomplir ses desseins ? Puis-je être en même temps un enfant religieux et un homme politique ? Et d’ailleurs tous les hommes sont-ils égaux ? N’y en a-t-il pas de privilégiés par rapport aux autres ? De ces privilèges naturels et politiques ne dois-je pas conclure qu’ils ont la faveur particulière, la prédilection du père céleste ? Et pourquoi ce père céleste n’aurait-il pas confié à ses favoris sa puissance paternelle sur moi ? Ne dois-je pas me soumettre en aveugle à ses projets et à ses vues ? Le père n’a-t-il pas des yeux pour son enfant ? Si j’ai une volonté, une intelligence et un œil qui veillent sur moi dans le ciel, c’est sans doute pour que je ne me serve ni de ma volonté, ni de mon intelligence, ni de mon œil ici-bas. Cette douce idée d’un père céleste ne devient-elle pas ainsi un moyen habile de désarmer l’homme et de le faire servir d’instrument au despotisme civil ou clérical ? Le Saint-Père à Rome n’est-il pas une conséquence du père dans le ciel ?

LXI

Chez les Israélites, le prêtre seul avait le droit de voir le Saint des saints. Cinquante mille soixante-dix Bethsénites périrent pour avoir par malheur vu et touché l’arche d’alliance[1]. Chez les Grecs la plus

  1. Les exégèses ont du reste mis en doute ce nombre énorme. — Josèphe et d’autres avec lui parlent de 70 sur 50,000 ; — d’autres plus modernes ont accepté le nombre, laissant incertain s’il devait son énormité à une erreur ou à l’exagération orientale.