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LA RELIGION

l’œuvre de vie ; c’est la frontière suprême, infranchissable des êtres qui pensent. Aussi la vie la plus sublime, c’est la vie dans la religion, dans la science et dans l’art. Voilà la vie au-dessus de la vie passagère, la vie au-dessus de la mort. La science, l’art et la religion, voilà les vrais génies, les anges de l’humanité. C’est en eux seulement et non dans Saturne ou dans Uranus que l’homme continue à exister même après la mort.

Cette idée qu’après la mort on voyage d’étoile en étoile et que déjà chacune d’elles est un séjour tout prêt et commode pour des êtres vivants est en contradiction avec la nature et l’esprit, vide et plate, surtout en ce qu’elle fait entrer la grande et sérieuse tragédie de l’univers dans le cercle commun de la vie civile, économique et bourgeoise, en ce qu’elle change les précipices immenses de la nature en simples petits ruisseaux au bord desquels les individus ne font que contempler leur image ou cueillir quelques aimables Vergissmeinnicht[1]. Le monde est ainsi transformé en un palais ou en un hôtel garni dans lequel on se promène de chambre en chambre, et on oublie tout ce qu’il contient de sombre et de terriblement sérieux. Ce n’est pas comme financier ou économe que Dieu a créé le monde ; il s’est oublié lui-même quand il l’a produit ; c’est bien avec conscience et volonté, mais non par la puissance de la volonté et de la conscience qu’il l’a enfanté ; ce n’est pas comme architecte, comme père de famille calculant tout avec prudence, c’est

  1. Vergissmeinnicht, mot-à-mot : ne m’oubliez pas. Petite fleur, le myosotis.