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LA RELIGION

dans le paradis de Mahomet : dans le paradis chrétien, il serait loin de trouver son compte.

Les anciens Germains croyaient qu’après la mort le fiancé retrouverait sa fiancée et l’époux son épouse. Ne serait-il pas ridicule de donner pour fondement à ce paradis si plein de vie, et qui reconnaît si franchement les droits de la sensualité, la trompeuse idée théologique du paradis vide et inconnu du christianisme moderne ? Aussi nécessairement le Germain croyait à une autre vie, aussi nécessairement croyait-il y continuer ses opérations de guerre et d’amour. La mort nous prend cette vie, mais la fantaisie la rétablit ; elle rend à l’époux son épouse, au fiancé sa fiancée, à l’ami celui qu’il aime. L’autre monde n’est pas autre chose que le monde des sens que l’univers réel devenu monde de la fantaisie et c’est la mort seulement qui en ouvre les portes. L’homme n’apprend à connaître et à estimer la puissance de l’imagination que lorsqu’un objet chéri est disparu à ses regards. La douleur causée par la séparation éternelle ou temporelle d’avec les choses qu’ils aiment élève jusqu’à la poésie les peuples même les plus sauvages. La fantaisie (imagination, souvenir, comme on voudra), voilà le monde étranger aux sens, où l’homme retrouve, à sa grande surprise, et avec le plus grand ravissement, tout ce qu’il a perdu dans le monde réel. L’imagination compense et remplit pour lui le vide de sa perception externe. La perception par les sens lui donne l’être la vérité, la réalité, mais à cause de cela même elle est bornée par l’espace et par le temps ; elle est positive, matérielle, fidèle aux choses, avare de paroles, et ses œuvres ne lui réussissent que sous certaines conditions ; mais telle est précisément la