Page:Feuerbach - La Religion,1864.pdf/248

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

successive et par parties dans le temps, aussi peu l’est notre complet anéantissement. Quand je meurs, — et je parle ici de la mort normale, car la croyance à l’immortalité ne s’inquiète pas du genre de mort de l’individu,— je ne meurs ni comme jeune homme, ni comme homme, mais comme vieillard. La mort n’entre pas chez moi en brisant la porte ; elle a ses raisons pour entrer ; elle se fait annoncer et introduire. Entre elle et moi il y a un médiateur qui émousse par avance son aiguillon homicide, et ce médiateur c’est la vie. Chaque nouveau degré de vie est la mort de celui qui l’a précédé. Où est l’âme de mon enfance, de ma jeunesse ? Chez Dieu, dans le ciel, ou dans une étoile ? Elle n’existe pas plus que quand j’aurai cessé de vivre. La mort n’est pas plus destruction à mon égard que ma virilité à l’égard de ma jeunesse, que ma jeunesse à l’égard de mon enfance. L’enfant ne regarde comme vie véritable que sa manière de vivre à lui, de même le jeune homme. Prends à l’enfant ses joujoux, et cette destruction de sa manière d’être actuelle sera aussi terrible pour lui que la mort pour toi. Cependant il vient un moment où le jeune homme nie son enfance et l’homme sa jeunesse. Ce qui était tout pour eux maintenant n’est plus rien. Si nous trouvons naturel que l’enfance et la jeunesse passent, pourquoi nous effrayer de ce que nous devons enfin mourir ? S’il nous est indifférent de n’être plus ce qu’autrefois nous étions, et nota benè ! ce qu’avec le feu de la jeunesse nous voulions toujours être, pourquoi nous révolter contre cette idée qu’un jour nous ne serons plus ? C’est notre égoïsme qui nous empêche d’admettre ces conséquences, comme il nous empêche de profiter pour le