Page:Feuerbach - La Religion,1864.pdf/294

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et du cliquetis des armes, pourra se délecter au son des flûtes ou des cloches de la prêtraille prussienne, sans perdre complètement sa manière d’être même corporelle en acquérant ce raffinement de goût ? Cette même main qui maniait sans cesse l’épée pourra-t-elle manier aussi bien un instrument de musique, de physique, de chirurgie ou la plume diplomatique, intrigante d’un hypocrite chrétien ou d’un dénonciateur ? Cet estomac accoutumé à la rude boisson tirée des sucs de l’orge pourra-t-il supporter le thé chinois servi dans les cercles du soir aux gens de la société « cultivée » ? Impossible : tu ne peux pas plus élever l’ancien Germain au même degré que l’Allemand d’aujourd’hui que tu ne peux faire du thé avec les sucs de l’orge. Si, par conséquent, l’homme se perfectionne dans la vie future, ce perfectionnement sera essentiel, radical, ou seulement superficiel. Dans le premier cas, l’unité de mon être et de ma conscience est détruite ; je suis tout différent de ce que j’étais d’abord, aussi différent que le sera de moi l’être qui, après ma mort, continuera mon œuvre et la mènera à son terme. Dans le second, je suis toujours le même, je reste au même degré ; ce qui est ajouté à mon être n’est que quantitatif, n’est qu’une addition superflue et inutile.

Certainement l’homme a une tendance à se perfectionner, même l’homme le plus immobile, le plus opiniâtre dans ses idées et dans son caractère. Mais ce penchant ne doit pas être isolé et développé jusqu’à l’infini de la fantaisie théologique ; c’est un penchant subordonné, accidentel, — sit venia verbo, — et non substantiel. Le penchant principal, primitif de l’homme est le penchant à sa propre conservation. Les vœux de