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REMARQUES

crite. Tout sacrifice est une action poétique, une action produite par l’enthousiasme ; mais on ne se met pas à volonté dans un état d’enthousiasme. Les sacrifices ex officio, les sacrifices de commande sont aussi mauvais que les poésies de commande. Le vrai penseur, le vrai poète ne peuvent pas plus toujours produire que l’arbre ne peut toujours produire des fleurs et des fruits. La poésie a priori, qui n’a pour fondement aucune impression interne ou externe, aucun besoin, aucune souffrance, a aussi peu de valeur que la philosophie a priori. On peut en dire autant de la morale. La morale isolée de l’homme, la volonté indépendante qui ne présuppose rien a aussi peu de réalité que la logique qui a pour principe le rien. Les sacrifices véritables sont, comme nous l’avons dit, des actes de passion enthousiaste ; ils sont l’expression complète, involontaire de notre nature. Mais l’occasion de ces actes ne se présente pas dans la vie de tous les jours, vie que l’habitude rend prosaïque ; elle ne se présente que dans les cas critiques, que dans les moments extraordinaires, dans les moments où l’homme perd tout s’il n’ose tout, parce que ce qu’il a de plus cher est en jeu et qu’il s’anéantit moralement s’il reste dans l’inaction. De même qu’il y aura des poètes tant qu’il y aura matière à la poésie, de même, toutes les fois qu’un sacrifice sera nécessaire, il y aura des hommes pleins d’abnégation et de dévouement pour l’accomplir, indépendamment de l’ordre du devoir et des articles de la foi chrétienne.




Je ferai remarquer que je n’ai voulu parler jusqu’ici