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PENSÉES DIVERSES

venu, elles ne gardent aucune trace des conditions pénibles et honteuses sous l’influence desquelles elles se sont produites ; elles ont effacé tout anthropopathisme. Semblables à des êtres divins issus de leur propre virtualité, elles n’inspirent plus que le sentiment du bonheur, du repos et de la perfection. Cette différence entre l’ouvrage écrit, en tant qu’objet de l’auteur, et ce même ouvrage en tant qu’objet du lecteur qui en jouit, cette différence peut se faire aussi en nous-mêmes. En face de notre conscience, les pensées nient leur origine matérielle, organique ; elles sont débarrassées de tout rapport avec la chair et le sang, elles apparaissent comme un ipse fecit, comme des produits d’une génération spontanée ; — mais notre moi, notre conscience n’en est pas proprement l’auteur ; elle n’est que le lecteur, que le public en nous.




L’âme n’est pas plus que la divinité un objet d’expérience, de certitude immédiate, comme beaucoup le prétendent. Elle ne doit son existence qu’à une conclusion, et la base, la prémisse de cette conclusion, c’est principalement la simplicité ou l’identité de notre conscience. « Toutes les fois que je me suis examiné, dit Bonnet, je n’ai jamais pu, dans la supposition que l’âme est matérielle, m’expliquer l’unité du moi. J’ai cru voir distinctement que ce moi était toujours simple, indivisible, et qu’il ne pouvait être ni une simple modification de la substance étendue, ni la conséquence immédiate d’un mouvement ; j’ai donc été obligé d’admettre l’existence d’une âme immatérielle pour me