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un sens vrai et raisonnable que quand on le lit dans son rapport avec le grand texte du passé.


Dans le monde extérieur, dans la sphère de la vie active, nous reconnaissons volontiers que nous sommes les sujets d’un gouvernement tout-puissant qui unit toutes choses par des liens éternels ; mais dans notre propre maison, c’est-à-dire dans notre tête, nous nous imaginons que nous sommes maîtres absolus et que nous pouvons, selon notre bon plaisir, faire sortir nos pensées du cerveau comme des poches d’un habit. Il n’est rien de plus faux ; même dans l’esprit, même dans nos productions les plus libres, hommes du passé, hommes du présent, hommes de l’avenir, nous sommes tous liés les uns aux autres comme les anneaux d’une même chaîne. Chacun pense et écrit aux dépens d’un autre. La littérature est un ouvrage qui se continue toujours en un nombre indéfini de volumes ; les pensées qui nous semblent le plus nous appartenir se rattachent, bon gré, mal gré, à celles de nos prédécesseurs dans ce touvrage immense ; ce que nous produisons de plus original n’est qu’un plagiat des leçons particulières que nous entendons en nous-mêmes sous l’influence de l’esprit universel. Et ce sont justement les grands écrivains auxquels nous attribuons le plus d’originalité et d’indépendance qui prouvent de la manière la plus frappante qu’ils ne sont que le résultat, que le produit des temps antérieurs. C’est en passant sur les cadavres de leurs devanciers qui ont acheté leur victoire par la mort qu’ils entrent en triomphe dans le temple de l’im-