Page:Feuerbach - La Religion,1864.pdf/337

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ment sérieuse ? Depuis quand les chrétiens ont-ils quelque idée de la terre, de la nature en général ? Depuis qu’ils ne regardent plus le corps comme un obstacle pour l’esprit, depuis qu’ils en font le moyen de connaître les choses, au lieu de planer au-dessus de la terre comme des esprits célestes dans l’essor de leur fantaisie. “ Nous aurions bien, ajoute le manichéisme rationaliste, le pouvoir de connaître et de comprendre ce que sont et ce que contiennent la lune, Mercure, Vénus, les autres planètes, les comètes et le soleil ; mais le corps est pour nous un invincible obstacle. ” — Quelle ridicule assertion ! N’est-ce pas le corps, l’œil, qui nous permet de nous élever jusqu’au soleil et aux étoiles ? La richesse de l’astronomie moderne ne vient-elle pas de ce qu’elle voit ce que l’astronomie ancienne ne pouvait voir ? La pesanteur qui nous attache à la terre est un lien raisonnable ; elle nous crie aux oreilles le précepte de Socrate : “ Connais-toi toi-même ” ; elle nous fait entendre que nous ne devons pas, comme les chrétiens, oublier la terre pour le ciel, et qu’il nous faut nous contenter des connaissances que l’homme a eues jusqu’ici des étoiles et de celles qu’il pourra acquérir dans le cours du temps, parce que nous savons déjà ce qui est nécessaire, essentiel. Cela ne satisfait pas assurément notre curiosité ; mais qui peut la satisfaire ? Ses questions sont inépuisables. Il n’est donc rien de moins logique que de prendre parti seulement pour l’esprit dans la question de l’immortalité de l’âme, comme si les sens n’avaient pas aussi leur bon petit mot à dire dans cette circonstance. L’esprit, l’être sans corps, sans limitation dans le temps ni dans l’espace, est assurément per se immortel ; mais cet être n’est