Page:Feuerbach - La Religion,1864.pdf/58

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
49
LA RELIGION

suivants, mis au nombre de ces fils, n’y ont été placés que par méprise.

L’amour pour Béatrix fit de Dante un poète. Un tel amour, quelque pur et quelque idéal qu’il soit, est en contradiction avec la nature et même avec la doctrine expresse du catholicisme. « N’aime pas l’homme pour lui-même, mais Dieu en lui », dit un saint. Ainsi s’expriment Pierre Lombard, Pascal et tous les moralistes religieux. Mais l’amour aime dans l’homme l’homme lui-même et unit les hommes entre eux. Pour l’amour, ce qui est terrestre est céleste ; le bonheur qu’il trouve en lui-même est la suprême félicité. L’amour élève le fini jusqu’à l’infini. Dante identifie sa Béatrix avec la théologie. Pétrarque, dans ses sonnets et canzones, célèbre Laure comme sa divinité présente ; son amour pour elle est le pouls de sa veine poétique. Quelle est la part de la foi dans son inspiration ? Était-il, comme poète, d’accord avec cette foi ou en contradiction avec elle ? Rien de plus facile à déterminer. Son repentir, ses prières à saint Augustin, c’est-à-dire à la personnification de sa conscience chrétienne, de lui pardonner ses poésies, cela vient du catholicisme, mais non l’esprit qui les lui dicta.

Aussi peu Léon X, quoique pape, par ses inclinations, sa manière de penser, répond à la nature du catholicisme, aussi peu y répond l’art comme tel, malgré les soins et l’amour de l’Église pour lui. La beauté est la catégorie essentielle, le genre de l’art ; la force païenne et l’humilité chrétienne sont des espèces à lui subordonnées. Même l’artiste chrétien doit produire et représenter ce qui est chrétien non comme tel, mais comme beau ; s’il a la moindre intelligence, le moindre