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LA RELIGION

leur manière de voir sur sa concordance non seulement avec le dogme de l’immortalité, mais encore avec les idées religieuses en général sur la nature de Dieu ; et l’on ne peut nier que leurs raisons, à ce point de vue, ne fussent irréfutables. De cette proposition de saint Augustin : « Dieu est juste, et le malheur est nécessairement la preuve du péché, » ils tiraient cette conclusion que, si les animaux étaient capables de sentir, ils souffriraient sans avoir péché ; qu’en conséquence ils devaient être privés de tout sentiment, parce que, dans le cas contraire, Dieu serait un être injuste et cruel pour avoir soumis des êtres innocents à toutes sortes de maux et de douleurs, sans les en dédommager un jour. Ils disaient encore : « Si Dieu, qui fait et crée tout pour sa gloire, avait créé des êtres capables de connaissance et d’amour, sans leur donner la puissance et sans leur imposer le devoir de le connaître et de l’aimer lui-même, il les aurait créés pour la pure jouissance charnelle, c’est-à-dire pour l’état de péché et de révolte contre lui. » Ce qui excite un insupportable dégoût dans les disputes scientifiques de cette époque, c’est que toujours l’intérêt de la religion vient s’y mêler, que chaque adversaire a soin de présenter à l’autre les conséquences inquiétantes pour la foi de chacune de ses assertions. Toute la discussion de Bayle et de Cléricus sur les natures plastiques de Cudworth et de Grew tourne autour d’un seul point : trouve-t-on dans cette doctrine des armes pour ou contre l’athéisme ? Leibnitz lui-même aimait à présenter ses pensées et celles des autres philosophes, au point de vue de leurs conséquences pour la théologie, soit par égard et complaisance pour son époque, soit qu’il fût