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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

devant elle sous l’image de son père, de sa mère, l’élève s’incline devant elle sous l’image de son précepteur ; homo homini deus est.

Et Valère Maxime (II, 1) dit : « Manifestum igitur est tantum religionis sanguini et affinitati quantum ipsis Diis immortalibus tributum ; quia inter ista tam sancta vincula non magis, quam in aliquo loco sacrato nudare se, nefas esse credebatur. » Les ancêtres des Romains montrèrent donc aux liens de la parenté un respect égal à celui qu’ils offrirent aux divinités célestes. L’homme, vis-à-vis de son Dieu, n’éprouve point d’autres sentiments que ceux qui naissent en son âme vis-à-vis d’un autre homme ; dans les dangers, dans les angoisses, il s’agenouille et prie, non-seulement son Dieu ou ses dieux, mais tout aussi bien un autre mortel.

L’homme, dans l’émotion du sentiment, s’écrie en se tournant vers un simple mortel « Ô toi, mon ange-gardien, mon sauveur, mon Dieu ! » Nous autres hommes ordinaires, nous nous sentons remplis d’un respect, d’un frisson parfaitement religieux, à la mémoire d’un homme qui a été en vérité grand et noble, bel et bon, Kaloskagathos : Nous nous sentons, pour ainsi dire, réduits à zéro vis-a-vis des héros de l’humanité. Je suis donc parfaitement autorisé de dire, que des sentiments qui sont vraiment humains, qui ne sont pas altérés dans leur valeur intérieure, sont des sentiments religieux, et que, par conséquent, des sentiments religieux sont des sentiments humains[1]. Martin Luther fait l’aveu suivant (I, 72) « Mon cœur, mon sentiment est comme Dieu, Dieu est comme mon sentiment, mon cœur. » En effet, chaque fois qu’un système religieux pose son Dieu sous la forme bien déterminée d’une personnalité positive, ce Dieu devient, par ce fait seul, un être positivement humain, réellement humain et terrestre : l’âme du fidèle tremble, son Dieu est donc en colère ; le cœur du fidèle se remplit

  1. « Une même peine doit venger et la divinité et les auteurs de nos jours des crimes qui les outragent. » Pari vindicta parentum ac deorum violatio expianda est.
    Valère Maxime, après avoir dit que les anciens Romains vénéraient tellement leurs pères et mères, que l’enfant n’avait point le droit de dénuer son corps en leur présence, pas plus que dans celles des dieux romains, dit (I, 1), que le roi Tarquin fit coudre dans un sac de cuir et jeter à la mer l’employé qui, corrompu par de l’argent, avait secrètement permis à un citoyen de copier le livre du culte civil : ce genre de supplice devint plus tard celui des parricides. (Note du traducteur. )